Lysette Brochu se rappelle son enfance à Sudbury

Dans les mines de mon cœur !

Lysette Brochu, 1946

Lysette (Lapointe) Brochu dans les bras de son père René Lapointe, Sudbury 1946

Lysette Brochu, auteure canadienne bien connue, est née à Sudbury en 1946. Sa mère, Simone Legault, fille de Anna Legendre (voir l’histoire au sujet d’Anna sur ce site) et Omer Legault, est née à Verner. Simone a marié René Lapointe de Ste-Herménégilde du Québec en 1943. Avec lui, elle a fondé une famille de 9 enfants. Lysette se rappelle cette fameuse année 1958 où la famille Lapointe a dû plier bagages et s’exiler à Ottawa. La grève d’Inco durait depuis trop longtemps déjà… 

Simone Legault et René Lapointe

Simone Legault et René Lapointe, jour de leur mariage, 1943

À la fin de septembre 1958, la mine de nickel Inco se retrouvait en grève depuis des semaines. Aux premières lueurs du jour et au saut du lit, mes frères, mes sœurs et moi, nous scrutions l’horizon, fixant notre regard dans la direction des hautes cheminées industrielles, cherchant un signe de changement, vérifiant si, par hasard, une fumée ne s’échappait pas. Rien ! Et si la grève devait se prolonger encore bien longtemps, nous savions, pour l’avoir entendu dire, que c’était l’économie de toute une région d’ouvriers-mineurs qui serait en péril.

Mon père avait déjà travaillé dans l’ombre souterraine pendant la Seconde Guerre mondiale. Le travail dans la mine était aussi pour lui une façon d’éviter d’être une recrue de l’armée et d’avoir à partir dans les vieux pays. Maintenant, il était agent d’immeubles. Je comprenais donc mal pourquoi mes parents étaient si inquiets pour l’avenir car je ne percevais pas de lien direct entre la grève de l’Inco et nous.

Curieuse, cherchant les pièces manquantes à mon casse-tête, le soir, lorsque j’étais au lit, je gardais l’oreille aux aguets et parfois j’entendais quelques bribes de leurs propos :

– Ben, on n’a pas vraiment le choix Simone. Avec neuf enfants à nourrir, faut faire quelque chose. J’toffe la ronne, mais j’vends pas ben ben de maisons de c’ temps-citte. Le monde a peur.

– Ouen ! pis chu ben tannée d’entendre parler du strike à part de ça. On dirait que les gens y’échangent pis rien qu’su leu’ troubles d’argent pis leu baddeloque. Y’ont d’la misère du diable à faire arriver les deux bouttes. On peut dire que ça va mal à shop en titi, ça bardasse ! D’après la radio, y’a même eu du tabassage à l’heure des shifts à matin. Un beau micmac ! Mais pense-z-y donc un peu René! Prendre ses cliques pis ses claques, s’en aller comme ça… à l’aveuglette, c’est vraiment recommencer en neu. Quel aria ! Pis y’a pas juste notre gang de p’tits à qui y faut penser, y’a ma pauvre vieille mére itou. Qui va v’nir à sa rescousse quand a va phoner pour de l’aide ? Là, c’est facile pour elle, on est juste à côté, mais si on s’ramasse à l’autre bout du monde…

—J’y’ai pensé. Si ça y tente, chu ben prêt à l’amener avec nous autres. On fera d’la place pour ses meubles quand on chargera le truck.

Mais qu’est-ce qui se tramait à notre insu ? Quel truck ? Je n’y comprenais pas grand-chose. Quelque temps plus tard, sans trop d’explications, papa partit en voyage d’affaires. C’était bien la première fois qu’il s’absentait aussi longtemps de notre foyer.

Dès son retour, les conversations à voix basse reprirent. Parfois, maman, aux prises avec une nervosité soudaine, se laissait emporter. Alors, le ton montait et, sans ambages, elle avouait à mon père ce qu’elle pensait de sa dernière idée :

– Ah ben non par exemple ! Pis minouche-moé pas ! C’est pas une idée vargeuse que t’as eue pis j’en veux pas pour cinq cennes. Là, tu me mets à l’envers parce qu’y’en est pas question René. Ça fait cent fois que j’te l’dis. J’irai pas élever ma famille dans la grande ville… Montréal, c’est trop gros. Si tu pensas me faire changer d’idée en me montrant des cartes postales d’la métropole, t’es à côté d’la track pis t’as faite kapout.

– Fâche-toé pas Simone. Comme tu voudras… Moé, j’irai pas à Toronto, même si c’t’ une belle ville moderne pis que mon frère Léo reste là. C’est trop dangereux d’y perdre notre langue. Si tu veux pas que les enfants de tes enfants t’appellent grandma, vaut mieux faire une croix sur ce coin-là.

Pendant ces longs arguments, montaient en moi les mots d’un couplet d’une chanson que mère chantait à l’occasion :

Il était une jeune fille

Qui n’avait que ses seize ans

Elle partit pour la grande ville

Malgré ses bons vieux parents…

La peur s’insinuait alors en moi ! Cette histoire était bien tragique, même que cette fille, qui avait désobéi à ses parents, mourait dans un accident.

Un jour le long de la route

Il y eut un accident

On trouva la jeune fille

Le corps tout couvert de sang

Je soupirais. « Non, les grandes villes, pas pour moi ! » Et puis, aussi bien dormir et laisser le bon Dieu poser les jalons de notre destinée. Le temps passait… Un soir, mi-octobre, l’air un peu triste, même s’ils affichaient des sourires, nos parents nous rassemblaient autour de la table de cuisine pour nous annoncer une grande nouvelle. Maman donnait le ton…

– Surprise les enfants ! Notre famille va mouver à Ottawa le mois prochain. Papa a acheté une maison là bas, une belle place qui se trouve à être dans un nouveau développement qui s’appelle Elmvale Acres. Ah ! c’est p’tit un peu, c’est un trois chambres, mais c’est juste en attendant qu’on s’achète un lot, pis qu’on construise plus grand, plus à notre goût.

Papa renchérissait…

– Oui, c’est ça… vous allez voir qu’à Ottawa, y’a des beaux lampadaires aux globes ronds, des rues avec des ormes immenses qui forment des tunnels de feuilles parce que leurs branches se rejoignent au-dessus des chars qui passent. Y’a l’Château Laurier que je vous amènerai visiter pis le Parlement aussi…

Ce même jour triste et gris, le dos contre le mur de briques de l’école Immaculée-Conception, j’informais mes copines de classe, groupées autour de moi, de notre départ imminent. Cécile et Normande reniflaient pendant que Yolande ne se gênait pas pour donner son opinion :

– Vous pourriez rester jusqu’à la fin de l’année au moins. C’est pas fair !

Bizarre ! Je les entendais, mais perdue dans un épais brouillard, je n’étais pas vraiment là avec elles. J’avais l’impression de parler d’une autre moi-même et d’une autre famille que je ne connaissais pas, de parler de la pluie et du beau temps. Coupée de mes émotions, je répétais machinalement :

– On se reverra, c’est sûr. C’est pas si loin qu’ça. Tout va s’arranger, y’aura des occasions, pleurez pas…

Brochu, Lysette, Saisons d’or et d’argile, tableaux de vie, Vermillon, Ottawa, 2005, 268 p. Récits publiés dans Parole vivante, no 58. Réimpression en juin 2011, ISBN-13 : 978-1-897058-21-3

Saisons d'or et d'argile

Lise Goulet présente sa grand-mère Blanche Gauthier Bérini

Sur les pas de Blanche… de Buckingham à Cobalt à Timmins 

Au tournant du 20e siècle (fin des années 1890), lorsque Blanche Gauthier a commencé sa carrière d’enseignante dans les écoles de rang du Québec, elle devait être loin de se douter que son chemin d’avenir se tracerait sur les routes du Nord de l’Ontario, et encore moins, qu’elle mettrait au monde une famille d’entrepreneurs et d’artistes incluant le célèbre peintre Clément Bérini — un modèle pour les aspirants artistes du Nord, surtout à partir des années 1970 alors que les arts, en milieu francophone, prenaient leur envol en Ontario. Lise Goulet se rappelle l’influence de sa grand-mère Blanche, mais aussi, de sa mère Marcelle, fille de Blanche…

Née à Buckingham au Québec, ma grand-mère, Blanche Gauthier, a fait ses études auprès des Sœurs grises à Hull. Après avoir complété son école normale, elle a commencé sa carrière d’enseignante dans une école de rang à Buckingham.

Au début des années 1910, elle a accepté un poste d’enseignante à l’école catholique séparée St-Hilarion à Cobalt dans le Nord de l’Ontario. Ma grand-mère Blanche a donc enseigné durant l’infâmie du Règlement 17 qui enlevait à tout élève le droit d’être instruit en français en Ontario !

St Hilarion

L’école séparée catholique St-Hilarion a été frappée par la foudre en 1925 (ou 1926). Réduite en cendres, elle a été reconstruite sur la rue Lang en 1927, et démolie dans les années 50. Archives de la bibliothèque de Cobalt.

Blanche Gauthier Bérini

Blanche Gauthier avec ses élèves à l’école St-Hilarion à Cobalt entre 1912 et 1915.

Quelques années plus tard, invitée par le curé Thériault de Timmins à venir joindre le personnel enseignant à Timmins, ma grand-mère a ouvert un nouveau chapitre de sa vie lorsqu’elle y a rencontré mon grand-père, l’homme d’affaires Joseph Bérini. C’est avec Joseph que Blanche a fondé une vie et une famille de 6 enfants à Timmins, dont ma mère Marcelle.

La famille de mon grand-père Joseph Bérini était originaire de Taino, une ville près de Vérone dans le Nord de l’Italie. Lorsque sa famille a émigré au Canada en 1888, elle s’est installée à Fort William (Thunder Bay). Mon grand-père, homme d’affaires inspiré, a été prospecteur, copropriétaire d’une mine d’or (Vimy Gold Mine dans le district de Cochrane) et propriétaire garagiste à Timmins.

Tous les enfants Bérini ont poursuivi des études secondaires dans les écoles privées francophones en Ontario ou au Québec et plusieurs d’entre eux ont suivi dans les traces de mes grand-parents. Deux de mes oncles Bérini ont été entrepreneurs comme leur père — oncle Jean-Paul, qui a été propriétaire de garage à Timmins et oncle Moïse, qui a été le propriétaire-fondateur de Typo-Press, une imprimerie réputée du Nord de l’Ontario. Moïse a également été membre du groupe fondateur du Centre culturel La Ronde de Timmins.

Deux autres fils laisseront leur marque dans le domaine artistique, Jean-Charles, artiste et photographe spécialisé en photographie aérienne et en dessin, ainsi que Clément, artiste peintre de renommée et mentor pour des générations d’artistes dans le Nord de l’Ontario.

Marcelle Goulet

Marcelle Bérini-Goulet au Gala du Théâtre français de Toronto le 8 mai 2014

Ma mère Marcelle, la troisième de la famille, a suivi dans les pas de ma grand-mère en étudiant à la même école que sa mère.

Bien que le Règlement 17 s’est quelque peu assoupli, l’école au palier élémentaire est subventionnée par le denier public depuis 1928, il est toujours en vigueur au palier secondaire. Ma mère va donc obtenir son diplôme d’enseignante chez les Sœurs grises de Hull.

Après ses études à Hull, ma mère est retournée à Timmins où elle a épousé mon père Armand Goulet. Mes parents sont déménagés à Ottawa en 1959 et mon père est décédé l’année suivante d’un terrible accident en milieu de travail; il était à vérifier la solidité de la structure dans une mine à Chibougamau lorsque celle-ci s’effondra.

Au début des années 1960, ma mère, une jeune veuve d’à peine 35 ans, a dû trouver un emploi pour gagner sa vie et subvenir aux besoins de ses enfants — mon frère Pierre a 7 ans, moi 2 ans, tandis que mon cousin Raymond Robillard, adopté par mes parents avant le déménagement à Ottawa, a presque 10 ans. Ma mère fait de la suppléance dans les écoles de langue française puis est devenue enseignante du français langue seconde auprès des fonctionnaires haut placés du gouvernement fédéral. À la fin des années 1960, elle s’est spécialisée dans l’enseignement de la maternelle et a fait carrière dans les écoles élémentaires d’Aylmer jusqu’en 1983, date à laquelle elle a pris sa retraite. 

Moi, petite-fille de Blanche et fille de Marcelle, je marche dans le sillage professionnel des femmes de ma famille. En effet, à l’insu de ma grand-mère qui n’a jamais soupçonné que je deviendrais enseignante (elle est décédée en 1968 alors que j’étais encore enfant) et encore moins, militante pour la cause francophone en Ontario, j’ai dû en quelque part, être très frappée par sa force de caractère.

De Buckingham à Cobalt à Timmins, Blanche a tracé une route de pionnière. Outre sa générosité à l’égard du clergé et des oeuvres caritatives, elle menait grand train dans la Ville de Timmins tout en gérant la maisonnée et la maison d’une main ferme. Elle tenait les cordons de la bourse et fit la tenue de livres du dernier commerce de mon grand-père, le Timmins’ Garage. Elle n’avait pas froid aux yeux et fut même la première femme à porter le pantalon à Timmins, et la première femme à conduire une voiture dans cette ville ! Tout un exploit pour une femme de son époque et dans cette communauté !

À ma mère, dont l’esprit pragmatique m’a fait jumeler art et éducation, je dois aussi le courage de foncer devant l’adversité, ainsi que l’amour de l’aventure et du voyage. J’ai appris à enseigner à ses côtés; elle était extrêmement douée pour l’enseignement et très à l’avance de son temps. Elle appliquait intuitivement des stratégies d’enseignement qui, aujourd’hui, sont à la fine pointe en matière de pédagogie !

Et je dois aussi beaucoup à mon oncle Clément dont j’ai toujours admiré le talent et sa façon bien particulière d’aborder l’art en un mélange de créativité, d’humour et de travail. De lui, j’ai appris à m’engager, non seulement face à l’expression personnelle dans ma pratique artistique, mais aussi dans les causes qui me tiennent à cœur.

Grâce à leur influence, je suis devenue enseignante d’arts visuels au palier secondaire. Lorsqu’en 1997-98, la loi scolaire a accordé aux francophones la pleine gestion de leurs écoles, j’ai été embauchée pour gérer la création du premier programme-cadre d’éducation artistique entièrement rédigé par des francophones pour des francophones : le Règlement 17 était finalement chose du passé. Depuis 2004, je suis agente d’éducation au ministère de l’Éducation à Toronto, et je poursuis toujours mon travail en tant qu’artiste. L’héritage Gauthier-Bérini — la francophonie, l’éducation et les arts, continuent de vivre en moi ! Blanche, Marcelle, Clément et bien d’autres encore ont formé qui je suis devenue. Je chéris leur mémoire et j’espère toujours être à la hauteur de leurs espérances.

Francine Lebrun Lessard rend hommage à Anita Coulombe Gaulin

Née au tournant du 20e siècle aux États-Unis, Anita Coulombe Gaulin a tracé des pas de pionnière de pays en pays, de ville en ville, de défi en défi. Sa petite-fille Francine se réjouit de l’héritage humain légué par Mémère Gaulin.

Grande dame (4’ de hauteur) reconnue pour sa persévérance, son sens des affaires et sa grande joie de vivre, ma grand-mère Anita Coulombe a vu le jour le 4 août 1904 à Fall River, Massachusetts aux États-Unis. Elle était la fille de Séraphin et Elzire Coulombe (cousins) de Montmagny, Québec.

De retour au pays en 1907, la famille d’Anita retourne vivre dans sa ville natale. Anita prend la route de l’écolier de 1910-1916. Comme son père, un aventurier à la recherche de l’or au Yukon, Anita suit ses traces.

Jeune de 13 ans, Anita gère le magasin général de son père (à Authier, Québec) ainsi que les finances de l’entreprise. Elle apprivoise très vite le sens des affaires. Pendant les trois prochaines années, elle fait affaire avec des vendeurs et, à son grand bonheur, rencontre son futur conjoint Léon Gaulin. Anita et Léon (fils de Wilhemire Richard et Louis Gaulin) convolent en juste noce le 27 novembre 1920.

Aventurier de nature, le jeune couple décide de s’installer dans le nord de l’Ontario (à Cochrane) tout en souhaitant fonder une famille. Un fils (Lucien, né en 1923) vient au monde, mais ne survivra que 18 jours. Malgré la perte de leur premier enfant, Anita et Léon poursuivent leur rêve. Léon devient entrepreneur pour la « Spruce Falls ». Il doit donc partir au-devant afin de trouver refuge pour lui et sa belle Anita. Toujours forte de caractère, Anita réussit à se rendre à destination (Harty, Ontario en 1924) en poursuivant la rivière «Old Woman River ». Elle se déniche un poste de cuisinière au camp de travail de son conjoint.

De 1925 à 1944, Anita et Léon fondent leur famille : dix beaux enfants en santé. Toujours à la recherche de nouvelles aventures, le couple s’achète une terre agricole dans la région de Moonbeam, rang St-Joseph (1927). Ils réussissent à faire vivre la famille grandissante en vendant les produits du terroir.

En 1942, la santé de Léon se détériore. Il fait face à deux pneumonies. Ils décident donc de vendre la terre agricole et s’approprient une maison à « Moose Creek » Kapuskasing (à cette époque, Moose Creek était une région de Kapuskasing qui se situait entre le salon funeraire Guenette et l’école St. Patrick). Trois années passent et Léon subit une autre pneumonie. Malheureusement, cette troisième pneumonie l’emporte et Léon décède en 1945. Ne baissant pas les bras, Anita se retrousse les manches et fonce dans la vie. Femme d’affaires d’expérience, elle s’achète un terrain à Brunetville (un quartier de Kapuskasing) et fait déménager sa petite maison de Moose Creek sur son nouveau terrain. Du même coup, elle en profite pour faire construire un deuxième étage à sa propriété afin de subvenir aux besoins de ses dix enfants.

Parmi ses dix enfants, ma mère Suzanne a suvi dans les traces de sa mère en devenant elle aussi femme d’affaires. Un des fils, Bertrand, a joint la marine et Henri, le petit dernier, a poursuivi ses études universitaires en comptabilité.

De son vivant, Anita l’aventurière a déménagé une dizaine de fois — chaque fois pour améliorer son sort. D’écolière à gérante, à femme d’affaires, à conseillère pour la Fédération des femmes canadiennes-françaises, cette Grande Dame nous a légué de belles valeurs  en héritage : une force inexplicable et une grande joie de vivre infinie !

Anita est décédée le 3 novembre 2000, mais son âme vit toujours parmi les siens. Aujourd’hui, moi, sa petite-fille, j’ai le bonheur de transmettre ces belles valeurs à nos petits-enfants. Que du bonheur ! MERCI Mémère !

Cliquez sur une photo pour l’agrandir et utilisez ensuite les flèches pour visionner la collection.

Benoît Cazabon remercie les femmes de sa famille

LANGUE ET CULTURE : DEUX MOTS FÉMININS…

Par Benoît Cazabon, petit-fils de Flore, fils d’Antoinette, neveu de Florence, Juliette, Éliane et Thérèse 

Flore Legendre est née à Champion, Michigan (vers 1890). Pendant son enfance, ses parents, Alphonse Legendre et Delphina Desjardins, sont déménagés à Verner, en Ontario. Elle a épousé Andy Cazabon le 5 mai 1912 à Verner. Leur fils Valmore Cazabon a épousé Antoinette Lachance avec qui il a eu 8 filles… et Benoît, Pierre et André ! Bien entouré par les femmes de sa famille, Benoît se dit heureux d’avoir «voyagé la vie» avec ses sœurs.

Cazabon_Benoit-À

Quand je pense à « langue et culture », me vient spontanément à l’esprit de remercier en premier lieu mes parents : Valmore, maintenant décédé, et Antoinette, qui, de leur modeste milieu agricole, m’ont montré à lire avant d’aller à l’école. Je suivais leur doigt sur la page quand ils me racontaient l’Encyclopédie Grolier, les manuels d’histoire et de géographie de leur propre enfance. (Maman préférait faire la lecture le dimanche matin pendant la grande messe.) C’est à cette époque qu’on m’a surnommé : « Monsieur Pourquoi » et le « bretteux [1]». Il y avait aussi Le Bulletin des agriculteurs, L’Émérillon (je n’ai jamais compris grand-chose à leurs CX et XC[2], mais mon côté critique et rebelle vient peut-être de là) et Le Droit (qui avait à l’époque une édition du Nord de l’Ontario), aussi quelques autres rares volumes, dont La flore laurentienne. Je me souviendrai toujours de l’arrivée de ce livre chez nous. Dans la grande cuisine, mon père échangeant avec le voisin, Clovis Tourigny, qui, pipe au bec, dissertait savamment sur les qualités de son contenu. Leur épatement devant ce beau livre m’interpellait. Il me reste le souvenir de son odeur et de son nom.

Flore, c’est aussi le nom de ma belle grand-mère paternelle, avec qui j’ai vécu ma quatrième année du primaire. Elle repassait mes devoirs, me faisait lire et me demandait d’écrire quelques mots chaque soir, question de vérifier mon orthographe. Elle m’a enseigné la chaleur humaine et la gourmandise. L’une ne va pas sans l’autre.

Florence, sa fille aînée, est ma tante toute de douceur; elle m’a appris l’importance de l’écoute. J’aurais pu en tirer meilleur profit. Puis, pendant cette année chez ma grand-mère, il y a eu tante Thérèse, l’institutrice, qui y habitait aussi. Je l’admirais pour son élégance, son savoir direct et sa façon prompte de me remettre à l’ordre. J’y ai peut-être appris la valeur des bonnes questions. J’en avais bien besoin à l’époque. Pour se faire pardonner sa rigueur, elle m’a initié aux Tintin! Début de mes misères à l’école; je lisais plus que je ne travaillais.

Mais surtout, j’aimais passer chez Éliane, ma tante bien-aimée. Je dis cela comme si j’étais le seul à lui porter ce sentiment. J’avais l’impression d’être si spécial. J’ai appris d’elle le sens de l’humour, la simplicité et les bienfaits de la convivialité. Chaque visite était une fête et si, de surcroît, Maurice, son mari, se mettait de la partie et chantait en s’accompagnant à la guitare, c’était féerique.

La musique n’était pas la force de notre famille, mais il suffisait de peu pour m’émerveiller (Maurice, ton penchant western a éveillé mon côté délinquant et gitan). Plus tard, pour ma dernière année de collège et mon entrée à l’École normale, tante Juliette (la tannante!) m’a accueilli dans sa maison, pourtant bondée. Elle m’a appris la générosité et la force dans l’adversité. La langue et la culture ont besoin de la chaleur du foyer. Merci à vous tous et toutes. Benoît Cazabon, le 18 avril 2014.  www.benoitcazabon.ca

Extrait de : Cazabon, Benoît, Langue et culture : unité et discordance, publié à Prise de parole en 2007.

Cliquez sur une photo pour l’agrandir et utilisez ensuite les flèches pour visionner la collection.

* * *

[1] L’orthographe du mot demeure incertaine tout comme son sens exact. Cela ne m’a pas empêché d’agir en fonction de ce qu’en pensaient les adultes qui m’entouraient. « Bréteux ou bretteux », terme dont on m’a qualifié dans mon enfance, voulant dire quelque chose comme « personne occupée, affairée, toujours en train de monter un plan ». J’ai revu le terme bretteur dans la chronique de Louis Cornellier, Le Devoir, 10 décembre 2006, p. F-7, à propos de Ferron, en citant Marguerite Paulin, qui vient de publier un livre sur l’auteur. Il existe dans Le Robert au sens de « personne aimant se battre à l’épée ». C’est peut-être le sens que lui donnaient mes tantes pour mon goût de l’argumentation !

[2] Il s’agit de classifications dans la hiérarchie de l’Ordre de Jacques-Cartier, nommé aussi La Patente, regroupement de francophones s’opposant à l’unilinguisme du gouvernement fédéral durant l’entre-deux-guerres et jusqu’en 1965.