HISTOIRES PLURIELLES: Un projet collectif qui raconte la vie des femmes et leur influence en Ontario français

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Le projet Histoires plurielles est une initiative des Elles du Nord (http://femmesdelaroute11.wordpress.com). Le projet donne la parole aux femmes et aux hommes qui souhaitent partager une anecdote ou une tranche de vie des bâtisseuses de familles et créatrices de valeurs des quatre coins de l’Ontario français. L’histoire des femmes, notamment celles qui ont donné naissance à un pays francophone en Ontario, à des générations d’enfants, à des institutions, à des oeuvres d’entraide, à des façons de faire et d’être — est une histoire qui a été peu racontée. Le but du projet Histoires plurielles est d’accorder un espace à cette histoire.

Si vous avez le goût de raconter un moment de la vie de votre mère, grand-mère, arrière grand-mère, tante, ou encore une anecdote liée à une femme de l’Ontario français qui a eu une influence positive sur vous, votre famille ou sur la communauté où vous avez grandi, envoyez-nous son histoire à elles@triyana.ca. La personne que vous présentez peut être une membre de votre famille ou encore une enseignante, voisine, politicienne, leader communautaire, auteure, etc. qui fait partie de ces bâtisseuses de l’Ontario. Vous pouvez aussi nous parler de VOUS, d’un souvenir qui vous a marqué en Ontario français (enfance, jeunesse, âge adulte), d’un chemin particulier que vous avez emprunté et qui a eu de l’influence sur la société franco-ontarienne, etc. Au plaisir de vous lire !

CRITÈRES DE SOUMISSION :

Vous avez l’option d’écrire une histoire, un poème, préparer un diaporama, livrer un témoignage, produire une vidéo… 

HISTOIRE : L’histoire que vous soumettrez doit être écrite en français et relater un moment, un souvenir ou une anecdote qui a eu lieu dans la vie d’une femme francophone en Ontario. Environ 800 mots + quelques photos en format jpg ou png (haute résolution si possible).

DIAPORAMA/VIDÉO :  Si vous préférez présenter un diaporama, vous pouvez le faire en format Power Point (ppt ou pptx). Maximum de 10-15 planches. Vidéo : durée moyenne 5 minutes.

POÈME : La fibre créative n’a pas de limites….

Écrivez-moi à elles@triyana.ca. J’ai hâte de vous lire !

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Lorsque je recevrai votre texte, je communiquerai avec vous pour en accuser réception au cours des  24 à 48 heures qui suivront. Veuillez noter qu’une soumission ne garantit pas nécessairement une publication dans Histoires plurielles. Notez également que vous offrez ce texte sans attente d’honoraires et que vous retenez tous les droits d’auteurs de votre texte.

Peu importe le style du texte que vous soumettrez à Histoires plurielles, il doit être écrit dans un français sans fautes. Veuillez faire réviser votre texte AVANT de le soumettre puisque nous ne sommes pas en mesure d’offrir un service de révision.

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HISTOIRES PLURIELLES, QU’EST-CE QUE C’EST ? C’est un espace collectif et créatif pour raconter avec notre coeur des tranches de vie des bâtisseuses de l’Ontario français !

Les femmes ont nourri tout le monde, c’est à leur tour d’être invitées à la table. 

Lysette Brochu, auteure

C’est un grand monde, ce Nord de l’Ontario [et l’Ontario français au complet], surtout maintenant qu’on lui reconnaît ses « elles ». Il faut faire vite pour ne pas perdre ces héritages précieux et fragiles étant donné le peu de documents dont nous disposons.

Benoît Cazabon, auteur

CLAIRE CASTONGUAY REMERCIE LES RELIGIEUSES DE LA CONGRÉGATION DE SAINTE MARIE DE NAMUR

Plusieurs générations ont été formées par les congrégations religieuses qui ont eu à coeur la qualité de l’éducation et la sauvegarde de la langue française. Ce pionnières ont, certes, enseigné les matières de base, mais elles ont aussi inculqué une fierté du travail bien fait et une motivation pour viser l’excellence. Claire Castonguay a côtoyé de près la congrégation des Soeurs de Sainte Marie de Namur à Chapleau en 1959 et à Ottawa dans la première moitié des années 60. Elle conserve un souvenir chaleureux et reconnaissant envers le mentorat de ces femmes qui l’ont accompagnée vers l’âge adulte et qui ont influencé son choix de carrière. Elle a eu la générosité de leur adresser ce message d’amitié sur mon blogue Histoires Plurielles. Merci Claire…

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Claire Castonguay

J’ai été en contact pour la première fois avec la communauté des religieuses enseignantes  Sainte Marie de Namur dès mon arrivée à Chapleau dans le Nord ontarien en 1959. Elles ont changé ma vie…

J’avais alors 13 ans et j’habitais depuis une semaine chez un oncle après la mort de mon père. C’est Soeur Louis-Joseph, si ma mémoire est fidèle, qui m’a accueillie dans sa classe de 8e année. C’est grâce à ses bons conseils que j’ai choisi d’aller faire mes études secondaires au pensionnat Notre-Dame du Bon-Conseil à Ottawa sur la rue Bayswater.

Les quatre années de pensionnat auprès de ces religieuses m’ont fortement influencée et m’ont permis de réaliser mes ambitions de devenir une enseignante — à l’image de ces religieuses ouvertes sur un monde en changement qui marquait les années 60. Les religieuses que j’admirais m’ont laissé des souvenirs indélébiles de leur bonté, simplicité, dévouement et persévérance à vouloir passer « le flambeau » à la prochaine génération de jeunes femmes déterminées à transmettre leur savoir à d’autres, tout en demeurant fidèles à leurs convictions.

Je remercie du fond de mon cœur Soeur Jean-Marc qui m’a aidé à exploiter mes talents, à avoir confiance en la vie, et surtout, à garder espoir en la bonté des gens. Et que dire de notre directrice du pensionnat, Soeur Ste-Geneviève, cette grande dame discrète, si sage et ouverte d’esprit, qui avait permis aux finissantes d’être accompagnées à leur bal au printemps 1964. Après avoir rencontré nos prétendants et approuvé nos robes de bal, elle m’avait avoué, dans un élan d’euphorie, que «c’etait la première fois que cela avait lieu» (que les garçons puissent accompagner les filles !). J’ai été honorée qu’elle me fasse cette confidence et je ne l’ai jamais oubliée…

En 1972, je suis retournée au « pensionnat » converti en résidence pour ainés et j’ai revu quelques religieuses de mon temps, mais plusieurs étaient enseignantes dans d’autres établissements ailleurs en Ontario. Je demeure convaincue que mes années de pensionnat avec les Sœurs de Sainte Marie de Namur comme mentors ont été des plus bénéfiques tout au long de ma vie, et encore aujourd’hui. Avec toute ma reconnaissance je les remercie en toute sincérité.

Claire Castonguay (étudiante 1960-1964)

NOTE HISTORIQUE : La présence de la congrégation SSMN en Ontario se manifeste dans deux diocèses : Ottawa et Hearst. De 1886 à 1986, les Sœurs de Sainte Marie de Namur enseignent tour à tour à Vankleek Hill, Saint-Eugène, Ottawa, Chapleau, Geraldton, Longlac et Nakina. La congrégation fut fondée à Namur en Belgique en 1819.

 

UN SIÈCLE DE VIE BIEN REMPLIE : Laurette Lafrenière Corneillier de Verner

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Le 22 janvier 2017, Laurette Lafrenière Corneillier de Verner a célébré son 100e anniversaire de naissance. Quel grand jour ! Née à St-Damien-de-Brandon au Québec, Laurette était une jeune enfant lorsque sa famille prit racine dans le Nord de l’Ontario à Verner.

Enseignante de formation, Mme Corneillier a traversé le 20e siècle et fut témoin de générations en évolution constante au contact de ses élèves et de sa famille élargie, ainsi que ses multiples voyages en Amérique du Nord et en Europe. J’ai demandé à sa nièce Carole Lafrenière-Noël si elle voulait bien nous raconter quelques bribes de la vie de sa tante centenaire. Voici le fruit de leur rencontre où elles ont discuté de ses souvenirs… 

5.4Les plus vieux souvenirs de tante Laurette remontent à cette fameuse photo de famille alors que la famille Lafrenière se présenta chez le photographe du village de Verner (un certain M. Beauparlant) pour une photo officielle en 1922. Comme c’était la coutume à cette époque, tout le monde était bien sérieux sur la photo ! Tante Laurette avait alors 5 ans.  Elle était très mignonne avec ses cheveux que grand-mère lui bouclait à l’aide de guenilles. La famille de Cuthbert Lafrenière et Alexandrina Maxwell Lafrenière était composée de 13 enfants, du plus vieux, Albert, à la plus jeune, Laurette (rangée avant, la petite à droite).

Tante Laurette se souvient qu’elle marchait environ 1 mille et demi pour aller à l’école de campagne de Verner qui réunissait les enfants de la première à la 8e année. Étant la plus jeune d’une grande famille, ma tante dit ne pas avoir été gâtée par ses parents qui étaient très occupés avec toute la maisonnée. Mais elle se souvient que sa sœur, Marie-Anna, la prenait souvent sur ses genoux.

Tante Laurette est fière de dire que quelques membres de sa famille ont eu la chance d’obtenir une éducation, ce qui était plutôt rare à cette époque. Ayant gradué du cours classique, l’aîné Albert devint comptable. Un autre frère, Athanase, a complété un cours commercial et fut gérant de banque, alors que Rosa et Laurette devinrent enseignantes.

À l'école St-Gonzague

École S-Louis-de-Gonzague, Sudbury. 18 juin 1934

Laurette est allée à l’école de Verner jusqu’à la 10e année. Ensuite, elle fut pensionnaire au Couvent des Soeurs Grises à Sudbury et a fréquenté l’école St-Louis-de-Gonzague (11e et 12e) qui était située tout près de l’église Ste-Anne.

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En 1935-36, Laurette suivit une formation d’enseignante à l’École normale de l’Université d’Ottawa. Par la suite, elle enseigna à Lavigne (photo ci-dessous), Mattawa (photo à droite), Blezard Valley, St-Charles et Sudbury. Mais sa mère étant gravement malade, Laurette fit le sacrifice de quitter son emploi d’enseignante pour prendre soin de sa mère à Verner. L’année 1950 s’est avérée particulièrement difficile puisque son père décéda le 28 décembre, suivi de sa mère à peine quelques jours plus tard, le 1er janvier 1951.

18.9Peu après le décès de ses parents, Laurette décida d’aller visiter Élisa Gilbeault, une tante maternelle qui vivait à St-Paul, en Alberta. D’autres familles et parenté originaires de St-Damien vivaient dans l’Ouest aussi et, malgré la distance et les moyens de communication limités de l’époque, les gens conservaient leurs précieux liens et déployaient les efforts pour se voir en dépit du temps qui passait et des distances à parcourir. Il y avait, par exemple, la famille Grandchamps qui vivait à Verwood, Saskatchewan (tout près de Willowbunch). Albertine, la soeur de Laurette, correspondait avec cette famille qui s’arrêtait à Verner lorsqu’ils retournaient visiter leur village natal au Québec. Il faut se rappeler que le téléphone n’était pas encore installé dans toutes les maisons à cette époque. La correspondance écrite était le moyen par lequel les familles dispersées se donnaient des nouvelles. Laurette se souvient qu’elle avait environ 20 ans lorsque la famille Lafrenière a eu son premier téléphone au village de Verner.

C’est à la suite de l’une de ces visites chez la famille Lafrenière à Verner qu’Edmond Corneillier dit Grandchamps commença à fréquenter Laurette Lafrenière. Tous les deux étaient des célibataires d’âge mur qui gagnaient leur vie. Edmond passait ses étés sur la ferme familiale en Saskatchewan et partait tous les automnes en direction du Québec avant de passer l’hiver en Floride. Imaginez le périple surtout quand venait le temps de traverser la ville de New York !  Les chemins et la signalisation n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui, sans compter qu’il n’y avait certainement pas de système de navigation GPS!

C’est donc le 30 décembre 1954 qu’Edmond Corneillier, 48 ans, épousa Laurette Lafrenière qui avait alors 37 ans.  Dès lors, le couple prit l’habitude de passer l’été en Saskatchewan le temps de faire les semences et récolter le blé. À l’automne, c’était le retour à Verner pour passer l’hiver. Tante Laurette faisait de la suppléance à l’école de Verner pour remplacer des enseignantes qui devaient quitter temporairement leur travail pour un congé de maternité.

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Le couple Corneillier aimait voyager. Quand ils étaient dans l’Ouest, ils en profitaient pour aller visiter les montages Rocheuses et la région de Banff.  À d’autres moments, ils recevaient la visite de leurs frères et soeurs de Verner qui décidaient d’entreprendre la grande excursion vers l’Ouest ! Comme Edmond n’aimait pas prendre l’avion, Laurette voyageait à l’occasion seule ou en compagnie d’autres personnes. Elle s’est jointe à deux reprises à un groupe d’enseignantes pour voyager à travers les États-Unis. À l’âge de 54 ans, ma tante a entrepris un voyage en Europe avec sa belle-soeur Germaine nouvellement veuve (conjointe d’Albert Lafrenière).

1780743_10152250653302351_366900909_nAu cours de sa vie, Laurette a eu l’occasion de faire 85 voyages et de visiter tous les continents. À toutes les décennies, tante Laurette continue de nous surprendre par sa bonne forme, ses connaissances et son esprit vif. En janvier 2018, elle a fêté son 101e anniversaire de naissance, et en ce sens, on ne peut que lui souhaiter une longue vie en santé entourée de ses ami(e)s et de la famille.

Sa nièce, Carole Lafrenière-Noël

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Laurette Lafrenière Corneillier et sa nièce Carole Lafrenière-Noël à Verner en 1961

UNE VIE TISSÉE D’AMOUR ET DE COURAGE : Édith Lepage Crête rend hommage à sa grand-mère Lydia

Les pionnières de l’Ontario Nord ont relevé des défis hors du commun. Quand on se rapproche de leur vie, on se rend vite compte de la force inébranlable de leur courage et de l’amour incommensurable qu’elles ont porté à leur famille. Telle est l’histoire de Lydia Mailloux Filion, une femme qui habite le coeur et les rêves de sa descendance. Mère de 14 enfants, Lydia a quitté son Québec natal au bras de son mari Arthur en 1929, ne se doutant pas que la vie lui réservait des épreuves déchirantes. Lydia Filion a défié les revers du destin et les difficultés sur sa route, léguant son courage en héritage et des traces de lumière sur la route des gens qui l’ont connue et aimée. Sa petite-fille Édith raconte la vie de sa grand-mère extraordinaire, généreuse et admirable.

Screen Shot 2017-11-16 at 2.15.27 PM.png«Je commence par vous dire que ma grand-mère est, pour les Filion, une femme qui a réussi sa vie. Dans l’histoire de la province et du pays, elle prend sa place auprès des grandes pionnières du Nord de l’Ontario qui se démarquent par leur courage. Je n’hésite pas à souligner que ma grand-mère devint le pilier qui porta sa famille vers la réussite. Elle fut l’une de ces grandes personnalités qui brilla tout au long de sa longue existence, tant par son dévouement que par son amour pour l’humanité, sa foi et sa charité chrétienne.

Lydia Mailloux naquit le 25 octobre de l’an 1900 à Cacouna, petite ville du Québec en bordure du St-Laurent. Elle grandit au sein d’une famille de sept frères et une soeur qui décéda dans la fleur de l’âge. Lydia de nature joviale, fut grandement choyée par ses parents et ses frères. Portant en elle le don musical, elle jouait de la harpe et de l’harmonica. L’écriture lui était aussi facile.

La famille Mailloux à Cacouna. Lydia est la première à droite.

Screen Shot 2017-11-16 at 2.09.29 PM.pngC’est en 1920 qu’elle célébra son mariage avec Arthur Filion de l’Ile Verte. Établis à Cacouna les nouveaux mariés acquièrent une ferme et un restaurant. Les automobilistes de la route fort achalandée pouvaient aussi y faire le plein d’essence. Mon grand-père Arthur, attiré par les récits de ses deux frères Vital et Philias Filion installés à Fauquier et à Moonbeam et propriétaires de magasin général, sentit à son tour l’appel du Nord. C’est alors qu’en 1929, après le de décès de mère Mailloux, Lydia et Arthur, accompagnés de leurs sept enfants (dont Aurèle qui n’avait que 8 mois et qui décéda 10 mois plus tard d’une maladie inconnue) entreprirent le long voyage en train vers Moonbeam — une contrée inconnue. Ils s’installèrent dans une maison sur la rue de l’église qui deviendra plus tard la résidence du premier médecin de Moonbeam, Dr Guillaume Soucie.

Hélas, les nuits furent vite perturbées par les pleurs des enfants. Les parents réalisèrent rapidement que les punaises étaient à la source des larmes. Graduellement, l’infestation fut maîtrisée par les produits courants dont on ignorait la toxicité. C’était là le prélude des difficultés à envisager dans une communauté naissante au début du siècle. Un nouveau point de départ loin de ses proches et sans commodités telle que l’électricité, les soins de santé et les cuisines bien assorties qui étaient déjà connues au Québec.

Lydia organisa rapidement un foyer relativement confortable avec l’aide de sa fille aînée Cécile, alors âgée de 7 ans, tandis qu’Arthur et ses fils aînés s’affairaient à toutes sortes de besognes pour nourrir la famille et accumuler des économies dans le but d’acheter une terre en friche. La vie était dure, d’une rigueur constante. Lydia, Cécile, et même la petite Fernande, vaquaient aux tâches ménagères incessantes. En plus du train journalier, il y avait le tricot, le cannage des viandes et des légumes, la cueillette des fruits sauvages, le tissage, le tressage de tapis, le filage de la laine, la teinture, le tannage des peaux d’animaux, la confection de vêtements, et bien d’autres tâches sur une liste sans fin. Leur ingéniosité et leur grande adaptabilité leur permirent de ne manquer de rien et même, de prêter main forte à ceux qui avaient moins de ressources.

En 1933, Arthur était devenu propriétaire d’une belle terre sablonneuse à 2 milles et demi au-delà du rang St-Joseph à Moonbeam. L’entreprise familiale de la culture et de la vente de patates devint prospère par la percée d’un marché régional. À parti de 1942, Lydia, appuyée par ses enfants, secondait son époux dans une autre entreprise établie par Arthur, un moulin à scie. Le processus avant le sciage était long et difficile. Les engagés et les garçons de la famille devaient bûcher le bois, charroyer les billots sur le lac gelé l’hiver pour en faciliter le transport au printemps jusqu’en bordure du moulin a scie. Chacun avait sa « job ». Il en était de même pour les autres qui bossaient dans les autres bâtiments du campement. Cécile, maintenant jeune adolescente, s’occupait de faire les repas pour les travailleurs. Un « homme à tout faire » maintenait l’ordre au dortoir tout en exécutant ses autres tâches d’entretiens.

Entre 1939 et 1946, une série de malheurs s’abattit sur la famille. Pendant cette période qui dura 7 ans, Lydia a vécu trois deuils déchirants — deux de ses enfants et son époux sont décédés. Leon fut happé de plein fouet par une voiture, Rosaire contracta la tuberculose et Arthur eut un accident de travail en 1946 à l’âge de 53 ans. De plus, en décembre 1944, la maison familiale contenant tous les biens fut rasée par un incendie. Même M. le curé Cimon convenait que les épreuves devaient cesser…

La communauté aimante de Moonbeam ne tarda pas à mobiliser toute l’aide nécessaire pour offrir vêtements, nourriture et meubles à la famille en détresse qui trouva éventuellement refuge dans leur garage au village. On y installa les nécessités du temps. Quelques années passèrent avant qu’une maison soit érigée tout près de là pour y accueillir ma grand-mère et ses enfants. C’est avec un grand trou dans le coeur que chaque membre de la famille a poursuivi ses activités.

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Lydia eut le bonheur et la satisfaction de voir plusieurs de ses fils devenir des entrepreneurs habiles, alors que les plus jeunes de ses enfants, garçons et filles, ont choisi les études et l’enseignement. Enfin le ciel s’ouvrait devant un avenir plus radieux, et la famile Filion pouvait profiter des progrès de l’époque.

Ma grand-mère refusa de nombreuses invitations en vue de fréquentations, choisissant de demeurer fidèle à son cher défunt Arthur et à sa famille bien-aimée qui l’entourait. Les nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants l’estimaient telle une HÉROÏNE d’un temps révolu. Lydia désormais moins occupée employait son temps à voir s’épanouir sa lignée familiale, à prier, à s’occuper de ses fleurs, de son entourage et de ses chatons.

Le 10 mai 1969, Lydia fut honorée par sa communauté lorsque les notables de Moonbeam lui décernèrent le titre de Mère de l’année. D’une humilité exemplaire, Lydia avait peine à accepter d’être célébrée par sa famille et sa communauté…

Elle s’éteignit en février de l’an 2000 alors qu’elle allait franchir le cap de ses cent ans quelques mois plus tard. Elle laisse derrière elle le souvenir immortalisé d’une femme courageuse qui contribua au développement du nord Ontarien. Pour ses proches, sa mémoire brosse le portrait d’un être extraordinaire dont la bonté et l’amour continuent d’inspirer les descendants de la famille Filion. Voilà pourquoi malgré le temps et les générations, il arrive que l’on nomme une petite fille Lydia en son honneur.»

Témoignage rédigé par Édith Lepage Crête, fière petite-fille de Lydia Mailloux Filion

 

Ma mère avait pour son dire… l’auteure Lysette Brochu nous partage un souvenir

Lysette Brochu est une auteure de renommée canadienne, native de Sudbury. Visitez son site web pour connaître ses ouvrages au lien suivant : http://www.lysettebrochu.com/. Vous pouvez également découvrir son parcours sur le blogue «Les femmes de la route 11 : les Elles du Nord» au lien suivant : http://wp.me/p2nDZQ-dg  Merci Lysette pour ce merveilleux texte rempli de tendresse et d’humour !

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Ma mère avait pour son dire qu’il fallait bien nourrir son homme si on voulait le garder et bien nourrir sa famille si on voulait un foyer heureux.

         — Ma fille, disait-elle, c’est ben facile d’attirer un homme. Des beaux yeux, ça l’attire comme du miel. Mais le garder, c’est une autre histoire. Y faut le faire manger, crois moi, avoir un p’tit plat qui mijote quand y’arrive de travailler… Y’est fatigué après une dure journée, y’a faim, c’est à sa femme de le réconforter. Pour les enfants aussi, les odeurs d’un bon souper, c’est ben important, ça les rassure. Quand je remplis les assiettes des petits de louches entières de ragoût pis que j’les vois qu’y saucent leurs assiettes avec du pain, ben j’ai la satisfaction d’avoir faite mon devoir. Pendant qu’y sont là avec nous autres, devant leurs couverts disposés en vis-à-vis les uns aux autres, sur une nappe blanche en coton, ben repassée, moé j’sais que leurs oreilles nous écoutent parler. C’est comme ça qu’y apprennent à vivre comme du monde. Tu sauras qu’un repas autour d’une table, c’est le secret des familles unies.

Elle parlait avec conviction, tout en brassant la soupe aux pois ou à l’orge et pendant que le pâté chinois ou les choux farcis cuisaient dans le four. Elle s’essuyait les doigts sur son tablier en épluchant les carottes et les navets ou en étalant des confitures sur le gâteau qu’elle roulerait plus tard en un tour de main.

Je ne sais pas si vous avez connu cette époque. Le portrait de Betty Crocker régnait sur les mélanges à gâteaux et June Cleaver, la vedette américaine de l’émission télévisuelle Leave it to Beaver, dirigeait à toutes les semaines, sous nos yeux admiratifs, le foyer parfait. Des modèles de femmes accomplies, voilà!

Je soupirais ! Maman continuait sa leçon.

— Rien ne bâtit plus de souvenirs heureux pour un enfant qu’un foyer en ordre et qui sent bon. En rentrant de l’école, t’es pas contente quand tu respires l’odeur des biscuits au gingembre. T’as hâte de rentrer, pas vrai?

Je bredouillais quelque chose pour lui faire plaisir.

— Oui, surtout quand tu fais des galettes à m’nasse.

— Bon ! Heureuse de te l’entendre dire. Un « chez nous » devrait avoir des bonnes senteurs. C’est la même chose pour ton pére, ma Lysette. Ça le rend d’humeur agréable quand y sait que je fais revenir des filets de brochet dans une poêle beurrée ou que je fais dorer du poulet avec des oignons. Oublie pas ça dans tes prières, ma fille. Affaire de prendre d’excellentes habitudes, une routine des choses, pendant que t’es encore jeune. Quand j’pense que madame chose sert des TV dinners à ses enfants ! Mon Dieu, c’est-y pas effrayant ?

Adolescente, je suivais des cours d’économie domestique à l’école, alors je ne doutais guère de la sagesse des propos de maman. Au contraire, j’y croyais dur comme fer. En 1960, le rôle de la femme se résumait à créer un foyer heureux, propre et bien rangé, à préparer de bons repas, à prendre soin des enfants. L’homme devait faire vivre sa famille et accomplir certaines corvées ménagères : sortir les poubelles, balayer le garage, râteler l’allée du jardin pendant l’été, les feuilles sur la pelouse à l’automne et pelleter la neige de l’entrée en hiver. Pas d’hommes dans les chaudrons, oh non ! Ce que ma mère prêchait reflétait les discours des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame qui nous enseignaient la méthodologie de certaines recettes de la Cuisine raisonnée ou qui nous lisaient des extraits de poèmes ou de récits d’auteurs sur la femme et ses fonctions au cœur du foyer.

La maison devint douce et propre… la douceur et la propreté qu’y porta Geneviève avaient un charme indéfinissable. Du haut en bas on y sentait la cire fraîche, le savon, le miel et le pain de ménage…[1]

Ces mots me faisaient rêver. Un jour, moi aussi, je serais la reine d’un foyer impeccable et je cuisinerais de délicieux soupers.

Cinquante ans plus tard… J’ai conservé le cahier de recettes de ma mère, écrit de sa calligraphie du dimanche : fèves aux lard, rôti de bœuf et patates jaunes, bouilli de légumes, glissants, pâté au saumon, pâté aux bleuets, tartes aux pommes, aux raisins, tartelettes au sucre, gâteau aux bananes, aux fruits, carrés aux dattes, grands-pères au sirop d’érable, pets de sœur, sucre à la crème… Au fil des ans, j’ai de plus accumulé toute une collection de livres de recettes : Robin Hood recipes, Five Roses, Jehane Benoît, Julia Child, Janette Bertrand, Minçavi, Grand-maman Lassonde, Michel Montignac, Pol Martin, Daniel Pinard, Josée di Stasio, Jamie Oliver, Ricardo…

Je crois que mon inconscient a vraiment enregistré le message de ma mère. Aussitôt qu’un visiteur entre chez nous, je lui offre à boire et à manger :

— Des raisins, du fromage, un petit four, un pouding au caramel, une tartine, des amuse-gueules ou des grignotines… Un thé vert, du café, un jus, une boisson gazeuse, de la San Pellegrino, une tisane, une bière…

         C’est plus fort que moi, je veux le nourrir. Mes petits-enfants arrivent souvent par surprise et me demandent gentiment :

— Mamie, tu veux nous faire du macaroni aux tomates et au fromage ou du spaghetti avec des boulettes ? De la compote aussi…

Si je veux ? Oui, oui, oui ! J’aime les choyer. Je sors une grosse miche ronde de pain et du bon beurre frais. Je leur coupe, avec amour et délicatesse, des carottes et du céleri, des légumes de couleurs variées, et je leur prépare une trempette à la ciboulette.

— Mamie, on peut faire des biscuits au beurre d’arachide ? La jarre à biscuits est vide.

Je leur redis ce que disait ma mère : « Vous avez les yeux plus grands que la panse. »

Ils rient de bon cœur en dégustant leurs bouquets de brocoli. C’est la joie.

Je me souviens d’une journée particulière, lorsque ma fille Manon, alors jeune mariée, se plaignait :

— Mom, c’est effrayant comment Emmanuel est grognon quand on magasine. Il me presse, veut toujours qu’on s’en aille, ça m’énerve.

— Fais le manger avant d’aller magasiner, ma chouette. Un homme au ventre affamé, c’est un homme impatient…

Je ne l’avais pas sitôt dit que j’ai éclaté de rire. Je reconnaissais la philosophie de ma mère. Mais attendez une minute! Je n’ai pas fini. Le plus drôle, c’est que pas longtemps après, Manon, en rougissant un peu, m’a déclaré :

— Avant de partir de la maison, je donne à manger à Emmanuel. Tu le croiras pas Mom, ça l’air ridicule, mais depuis que je fais ça, y’en a pas de problème. Mon chéri s’assoit sur un banc, patient et content, il lit, et moi, je me tape tous les magasins qui sont autour… Grand-maman n’avait pas tort, tu sais. Merci de m’avoir dévoilé le secret du p’tit bonheur. C’est vrai qu’il faut bien nourrir son homme, surtout si on veut le garder longtemps…

 

 

 

 

[1] Henri Bosco, Le Mas Théotime

Les mémoires d’Annette

1957

Annette St-Jean Lafrenière, 1957

En l’an 2000, alors qu’elle avait 83 ans, Annette St-Jean Lafrenière prend stylo et papier et entreprend de rédiger ses souvenirs d’enfance.  Quel cadeau pour sa famille ! Elle raconte une enfance au sein d’une famille heureuse et chaleureuse et ses bonheurs de vivre dans une communauté tissée serrée…

À la lecture des mémoires d’Annette, c’est toute une époque qui revit sous nos yeux — l’époque des valeurs familiales ancrées dans le quotiden des gens, l’époque de l’entraide généreuse, mais aussi du dur labeur de nos ancêtres.

Annette St-Jean a grandi auprès d’une mère enseignante et d’un père cultivateur et entrepreneur. Elle a des racines franco-américaines, une âme canadienne-française. Elle-même entrepreneure, elle fut propriétaire du Centre du Coupon, un magasin au coeur du village de Verner. Son magasin était un point de rencontre et d’amitié pour les femmes de son patelin. Découvrez la famille St-Jean dont l’histoire nord-ontarienne remonte à 1898 ! Merci à Carole Lafrenière-Noël, fille d’Annette, de nous avoir permis de profiter des souvenirs de sa mère.

SOUVENIRS D’ENFANCE RÉDIGÉS PAR ANNETTE ST-JEAN LAFRENIÈRE

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Annette St-Jean Lafrenière, vers l’an 2000

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Albert St-Jean et Doloris Roberge, jour de leur mariage, 1917

«Nous sommes en l’an 2000. Je suis l’aînée d’une famille de dix enfants. Mon père se nomme Albert St-Jean et ma mère, Dolorise Roberge. Mon père est né à Red Lake Falls, Minnesota, le 4 juillet 1892. Ma mère est née à Providence, au Rhode Island. Elle était la fille de Donalda Beaudry et d’Ovila Roberge.

Mes parents se sont mariés le 8 janvier 1917 à
Notre-Dame du Lac à Lavigne, Ontario.

 

Mon grand-père, Amable St-Jean, était venu des États-Unis avec ma grand-mère, Léa Plante, pour s’installer en 1898 à Notre-Dame du Lac, à Lavigne, Mon grand-père défrichait un morceau de terre et construisait ensuite une maison de log. Une fois la maison terminée, il en recommençait une autre pour la vendre, et ainsi de suite. Dans sa maison, il avait installé une échelle pour monter se coucher dans sa chambre à coucher. Son lit était une paillasse de foin fou.

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Annette et son père

Mon père, Albert St-Jean, n’est pas allé à l’école; il chassait la perdrix. Mon père a eu la chance de se marier, en 1917, avec Doloris Roberge, une enseignante de 18 ans. A ce moment là, ils demeuraient à Cobalt, Ontario. C’est là où je suis née, en 1918. J’ai visité la petite maison où je suis née en 1939, lors de mon voyage de noces.

Mes parents ont déménagé à Verner, sur une ferme à 5 milles du village, lorsque j’avais un an et demi. Mon père faisait la chasse au chevreuil. Il y avait beaucoup d’animaux sauvages dans ce temps-là. J’ai même vu un renard argenté, des renards jaunes, des rats musqués, des belletes, etc. Mon père vendait les peaux. Il y avait aussi beaucoup de poissons.

Je suis allée à la pêche à l’âge de 12 ans dans le ruisseau. Il y avait un bateau fait de planches rough. Il y avait tellement de poissons que le bateau se balançait d’un bord à l’autre. Mon père les attrapait dans son dart. Dans un rien de temps, il remplissait une poche de poissons. À la maison, ma mère était très occupée à canner du chevreuil et du poisson.

Dans ce temps là, mes grand-parents vivaient à 2 milles de chez nous. Lorsque j’avais 7 ans, je suis allée avec un petit traineau leur porter un rôti de chevreuil. Grand-mère St-Jean portait une longue jupe fleurie avec un bonnet blanc. Elle m’a servi du sirop de blé d’inde blanc avec de la crème. Grand-père était né avec une petite main. Il a vécu jusqu’à 86 ans. Ma grand-mère est décédée très jeune du coeur, alors que j’avais 9 ans.

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École de campagne à Verner, vers 1923. Annette St-Jean est est la 2e de gauche dans la rangée du bas. Les petites filles portent des robes confectionnées à partir de poches de farine, qui, à l’époque, étaient faites de coton imprimé de petites fleurs.

L’été, mon père coupait du bois. Il faisait très chaud. Je suis allée lui porter une chaudière d’eau. Lors que je suis arrivée là, il était tout en sueur. Il a toujours travaillé très fort, au bout de ses forces. Au printemps, il avait un banc de scie. Nous, les enfants, on l’aidait à scier ce bois-là. On le vendait l’hiver à Sturgeon Falls pour $5.00 le voyage. Mon père partait en sleigh avec, dans le dash, une cane de marmelade pour son lunch.

Un beau jour, il nous a fait une surprise: il est arrivé avec un gramophone que l’on crinquait. On avait quelques disques. Mais il l’a retourné et il est revenu avec un violon pour $5.00. Ils m’ont envoyée chez un voisin qui jouait du violon. J’ai pris 5 leçons. Faut croire que j’avais de la facilité parce que je pouvais apprendre les airs de la chanson. Je me souviens être assise sur le gril de la fournaise dans la salle à dîner, en train de jouer du violon. Dans ce temps là, le plancher était peinturé orange.

L’été on faisait les foins. Moi, je conduisais les chevaux, sur le râteau et aussi à la grand fourche. Mon père faisait les vayoches. Un jour je conduisais les chevaux sur le voyage de foin; mon père avait acheté une jeune jument de l’Ouest canadien – une Wild West attrapée dans les champs. Les chevaux sont partis en fous. Le voyage de foin faisait le tour dans le champ. Il a ensuite versé sur le côté, moi dedans. Mon père était jeune dans ce temps là; il est venu à bout d’attraper ses chevaux. Il avait payé $25.00 pour cette jument. Elle s’appelait Doll. Pour pouvoir l’atteler, il s’était fabriqué une grande broche de 8 pieds de long pour l’attacher au bacu et au quinqué. Il avait une enclûme dans la remise toute équipée pour ferrer les chevaux.

L’été, ma mère et nous, les enfants, on allait aux bleuets. On les vendait pour pouvoir avoir quelques morceaux de linge pour l’école. On faisait venir notre linge chez Eaton à Toronto. C’était dans le temps de la crise. L’été on marchait nu pied pour aller à l’école. Il y avait 50 enfants dans l’école de campagne.

moutons-1Mon père avait une cinquantaine de moutons. Au printemps, je l’aidais à tondre les moutons. Au bout de la ferme se trouvait le lac Nipissing. Mon père avait fabriqué un chaland. Il traversait le lac Nipissing (un mille et demi) avec ses moutons et les amenait à l’Ile aux Chênes pour l’été. Il retournait les chercher à l’automne.

Un automne il en manquait deux; il est retourné les chercher dans la neige pour pouvoir les attraper. Au printemps, il fallait laver la laine au lac et la faire sécher sur le galet. Cette laine était envoyée à Thurso, Québec pour qu’elle soit filée et teinte en rouge, noir, bleu et naturelle, à deux et trois brins. Ma mère avait une machine à tricoter. On était bien chaussé pour l’hiver. Elle faisait aussi des sous-vêtements à mon père avec la laine à deux brins. J’ai vu mon père porter ces sous-vêtements même l’été; il disait que ça buvait la sueur. Maman vendait le reste de la laine à Cache Bay. Elle nous confectionnait des robes pour l’école avec des poches de farine faites de coton fleuri.

Dans ce temps là, il y avait douze ruches d’abeilles. Mon père ne savait pas lire, alors ma mère lui lisait les directives dans un livre. Lorsqu’un essaim partait, il fallait qu’il le ramasse avec un drap blanc et qu’il le mette dans une nouvelle ruche avec la reine. Il avait un extracteur et, en septembre, il coulait son miel. Je me souviens qu’il aimait beaucoup son miel. Une année, il a récolté 24 gallons qu’il a tout mangé durant l’hiver. Nous, les enfants, on était bien tanné de manger du miel dans notre lunch à l’école.

Un printemps, mon père a eu une opération d’appendicite. ll n’a pas pu travailler de tout l’été. Dans ce temps-là, la médecine n’était pas beaucoup avancée. Il a fallu engager un homme à $2.50 par jour. Un jour, mon père devait de l’argent au médecin, mais il n’avait rien pour le payer. Il est allé voir le député Théodore Legault à Sturgeon Falls, qui lui a trouvé de l’emploi au Camp Borden. Quand il a eu assez d’argent pour payer le médecin, il est revenu à la maison; il s’ennuyait trop.

Durant ce temps-là, maman allait à l’étable le matin. Moi, j’avais douze ans. Je faisais le déjeuner pour les enfants : des crêpes de sarazin et du sirop de sucre brun. C’était en 1930. On tirait les vaches à la main. On se servait d’un séparateur pour séparer la crème du lait. On versait la crème dans un baril que l’on brassait pendant une heure pour faire du beurre que l’on rinçait ensuite à l’eau claire. Maman le mettait dans un grand bol en bois pour faire une livre. C’était très bon du beurre frais et des légumes frais. Nous avions seulement des légumes frais de notre jardin durant l’été. Les carottes étaient conservées dans le brin de scie dans la cave et on avait un carré de patates pour l’hiver. L’automne, les tomates mûres étaient cannées.

Aux Fêtes, on faisait les boucheries de boeuf, de lard, etc. La viande était gelée en morceaux. Elle était mise dans des sacs et on la conservait dans le grain pour l’hiver. On n’avait pas de radio. On avait cependant une lampe à l’huile pour faire nos devoirs le soir. Un jour, on a eu une lampe aladin; ça faisait toute une différence; on avait une belle lumière fluorescente. L’hiver, le linge était séché dans la cave sur des cordes.

Le lac Nipissing était au bout de la ferme, c’est-à-dire à un mille et demi de distance. Mon père a décidé de construire des cabines dans les années ’40. Il a fait arpenter dix lots où il a construit ses cabines. Dans ce temps là, les Américains venaient faire la pêche. C’était surtout des gens de l’Ohio. Une année, il y a eu une inondation. Alors, ils se sont rendus de la maison aux cabines en bateau sur le fossé. Maman allait faire le ménage dans les cabines.

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Plus tard, les Américains ont cessé de venir. Mon père a vendu les cabines. Il a fait arpenter d’autres lots; il y en avait 19 en tout. C’est là qu’il a commencé le trailer park. Mon père et ma mère passaient tous les deux l’été au lac durant l’été. Ils administraient tout ça: louer des bateaux, vendre des minots, voir à l’entretien, driller un puit pour avoir de la bonne eau, installer l’électricité. Maman faisait un jardin au lac. Ils avaient une bonne santé. Ils se sont construits une maison au village à Verner pour passer les hivers. Ils ont vécu 68 ans ensemble dans leur belle maison. Maman à 86 ans a été un mois à l’hôpital avant de décéder le 2 novembre 1984. Après que maman est partie, mon père est allé au Château à Sturgeon. Il est décédé un an plus tard, le 14 novembre 1985, à l’âge de 92 ans. Le bon air du lac les a conservés pour longtemps.

De ces lots au bord du lac, nous en avons tous hérités. On s’est construit de beaux chalets. La jeune génération maintenant demeure en ville. Il y en a de tous les âges. Ils se réunissent pour faire du bateau, du ski, de la pêche, de la baignade et surtout, des barbecues. Ca leur appartient…».

Annette St-Jean Lafrenière, née à Cobalt en 1918, est décédée paisiblement à l’Hôpital Général de North Bay, le 25 mars 2007 à l’âge de 88 ans.

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Annette St-Jean Lafrenière dans son magasin, le Centre du Coupon à Verner, vers 1966.

Souvenir de sa fille Carole : «Dans les années ’60, ma mère a décidé d’ouvrir un magasin de tissus avec un peu d’argent qu’elle avait hérité de ses parents. Pour elle, ce petit magasin est devenu une grande source de plaisir et une façon d’arrondir les fins de mois.  Elle adorait choisir les tissus, étaler la nouvelle marchandise, manipuler les bobines de fil, toucher les textures différentes, accueillir les dames qui venaient magasiner, rencontrer les commis voyageurs, etc. Il faut dire qu’elle confectionait tous nos vêtements, à partir de nos petites robes jusqu’à nos caleçons !»

Claire Pilon honore la sagesse de sa mère Edna Frappier Pilon

Dans cet hommage à sa mère Edna, l’auteure et journaliste Claire Pilon exprime le sentiment de beaucoup de gens envers la sagesse de leur maman et la force tranquille de toutes ces femmes qui ont oeuvré pour former des générations d’enfants et des communautés tissées serrées. Aucune vie n’est ordinaire, car le courage de traverser les épreuves, de bâtir une communauté et de défendre les démunis tout en élevant des enfants valeureux et chaleureux, voilà une chose extraordinaire. Rencontrez Edna Frappier Pilon, celle qui croyait à la bonté de la vie et qui laissait des ponts…

unnamed-1Ma mère, Edna Frappier Pilon, n’a jamais été nommée pape ou été élue premier ministre du Canada ni présidente des États-Unis, ou directrice générale d’une grande entreprise.

Pourtant elle possédait toutes les qualités pour très bien remplir tous ces postes et encore plus…

Edna Frappier Pilon était une femme extraordinaire, faisant preuve de plusieurs qualités et étant dotée d’une grande sagesse. Conseillère, gestionnaire financier, gérante de foyer, elle pouvait superviser une variété de projets et réussissait à merveille tout ce qu’elle entreprenait. Et comme elle savait bien épargner !

Ma mère était toujours présente pour me conseiller sans jamais me dire quoi faire. Elle était présente lorsque j’avais des difficultés avec mes études et des problèmes difficiles à résoudre, ou encore lorsque j’avais besoin de conseils. Elle était là pour me guider et me consoler lors de mes peines d’amour, et surtout, elle savait et prenait le temps de m’écouter. Si elle était fâchée, on le le savait, mais c’était sans cri, sans bataille, car ma mère n’a jamais une  seule fois élevé la voix.

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Edna Frappier est née le 6 août 1917. Elle était la fille de Louis Frappier et de Clara Beauchamps, benjamine d’une famille de quatre filles et de quatre garçons. Elle est née à St-Charles et a grandi à Sturgeon Falls. En 1951 elle épousa Raymond Pilon de Larchwood qui, comme maman, avait grandi dans une famille pauvre, sur une ferme. Le mariage a été béni le 21 mai 1951 par monseigneur Joseph Coallier au sous-sol de la paroisse St-Jean-de-Brébeuf puisque l’église était en construction. Ils ont eu cinq enfants, dont moi et mon jumeau (il est décédé à ma naissance), deux garçons et deux filles. Maman me disait souvent qu’elle était garçonnière et qu’elle aimait jouer à la balle. Elle aimait beaucoup le sel et me disait que s’il y avait une réincarnation, elle voulait revenir en vache pour pouvoir lécher les blocs de sel !

Maman était une personne juste qui n’a jamais exécuté de tâches «extraordinaires», mais qui a toujours travaillé dans l’ombre pour la justice. Elle s’impliquait dans les organismes communautaires, mais détestait les honneurs. Une personne a déjà dit d’elle : «Elle ne parle pas beaucoup, mais quand elle parle, ça compte». Ma mère défendait toujours les plus démunis et ceux qui vivaient des situations difficiles. Même si nous étions assez pauvres, nous n’avons jamais manqué de rien. Elle scrutait les ventes afin de pouvoir nous habiller et nous permettre d’avoir des petites gâteries. Chez nous, la porte était toujours ouverte à tous.

Avant d’épouser mon père, Maman a travaillé comme réceptionniste à l’hôpital St-Joseph sous l’égide des Soeurs Grises de la Croix (aujourd’hui connues sous le nom des Soeurs de la Charité d’Ottawa). Elle fut aussi la première caissière à la Caisse populaire St-Jean-de-Brébeuf située dans le quartier du Moulin à Fleur à Sudbury.

 J’attribue, en grande partie, les succès que j’ai connus dans ma vie au fait que depuis mon enfance, ma mère m’a guidée et encouragée sans jamais me forcer ou m’imposer ses convictions. Elle ne m’a jamais dit quoi faire, mais a toujours fait connaître son opinion lorsque je la lui demandais. Elle m’a appris l’importance d’épargner et de ne pas dépenser pour rien.

Maman n’avait pas de talents spécifiques, mais elle pouvait tout faire. Elle était une femme très religieuse et elle priait beaucoup. Elle était convaincue que ses prières étaient exaucées même si elle ne recevait pas ce qu’elle avait demandé. Elle disait: «Il y a toujours une raison pour tout». Elle était membre de plusieurs organismes communautaires dont le mouvement scout, la paroisse St-Jean-de-Brébeuf, les dames de Sainte-Anne, ainsi que le Mouvement des femmes chrétiennes.

Elle croyait beaucoup à la sauvegarde de la culture et de la langue française. Il était interdit pour nous de parler en anglais dans la maison et elle encourageait nos amis de faire de même. Elle me racontait comment nos ancêtres avaient travaillé fort pour que nous puissions parler en français. Elle tenait à continuer à pratiquer les traditions comme la Fête des Rois et celle de la Sainte-Catherine.

Maman était féministe à sa façon. Elle n’a pas brulé son soutien-gorge et n’a pas participé à de grandes démonstrations, mais elle faisait connaître ses opinions toujours en transmettant un message. Elle m’a enseigné à ne pas avoir peur d’exprimer mes opinions et au lieu de la confrontation, elle me montrait la médiation. Un de ses dictons favoris était «Laissez des ponts». Elle participait régulièrement à une émission de radio où elle ne se gênait pas de donner son opinion même si elle offensait parfois certains membres de la hiérarchie ecclésiale. Elle n’avait pas peur d’aider les démunis et de défendre les injustices.

Maman n’a jamais reçu d’honneur ou de certificat de reconnaissance du pape ou du premier ministre ou de n’importe qui d’autre, mais elle aurait dû être reconnue pour le bien qu’elle a fait sans que personne ne s’en rende compte. Elle aurait dû être reconnue pour son oeuvre auprès de toutes ces personnes qu’elle a aidées sans s’en vanter, mais de toute façon, les honneurs étaient sans importance pour elle. Ce qui importait pour Edna Frappier Pilon, c’est qu’elle faisait du bien, qu’elle aidait les gens et qu’elle le faisait pour l’amour de Dieu et non pour la reconnaissance et les hommages des humains.

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Claire Pilon est l’auteure de nombreux articles et documents historiques, dont le livre «Le Moulin à Fleur», publié en 1983 (réédité en 2011). Claire a dédié cet ouvrage à ses parents Raymond et Edna, ainsi qu’aux membres de sa famille qui ont instauré en elle «une fierté communautaire».

Suzanne Girard Whissell partage une recette de sa grand-mère Albina

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Suzanne Girard Whissell

Suzanne Girard Whissell, native de Timmins, est une gardienne de la mémoire culinaire dans sa famille. Elle a rassemblé les recettes de sa famille Bastarache (du côté maternel) sous forme d’un livre qu’elle a intitulé « Le rouleau à pâte ». Pourquoi ce titre ? Eh bien, imaginez-vous que Suzanne est la fière héritière de tous les rouleaux à pâte des femmes de sa famille (sa mère, ses tantes, sa grand-mère) et même le rouleau à pâte de son père qui a été «cook» dans les chantiers de bûcherons du Nord de l’Ontario ! 

* * *

Sur la couverture de son livre de recettes familiales, on retrouve une illustration d’un rouleau à pâte. Il s’agit du rouleau de sa grand-mère Albina. Ce rouleau centenaire a été fait  à la main en bois de bouleau par Alfred, le conjoint d’Albina, qui lui a remis en cadeau de noces en 1914 !

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Le livre de recettes bilingue contient 130 recettes de la famille Bastarache et est disponible pour achat auprès de l’auteure par courriel à l’adresse suivante : sgwhissell@gmail.com ou par téléphone au Centre culturel de Moonbeam (705-367-2324). Le coût est de 25$ + frais d’envoi.

Suzanne a généreusement accepté de partager la célèbre recette de gâteau aux fruits de sa grand-mère Albina (la recette est aussi dans son livre).  Vous la retrouverez ci-dessous. À une certaine époque, le gâteau aux fruits était confectionné pour le temps des Fêtes, mais aussi pour toutes les noces dans la famille. C’est une tradition canadienne-française.

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Extrait du livre de recettes « Le rouleau à pâte/The Rolling Pin, par Suzanne Girard Whissell

 

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GÂTEAU AUX FRUITS D’ALBINA (½ recette)

La journée avant:

1½ lb raisins

1 lb noix

½ lb amandes

3 tasses fruits mélangés

1 tasse mixed peel

2 tasses cerises rouges

2 tasses cerises vertes

1 c. à thé extrait de vanille

1 c. à thé extrait de cherry

1 c. à thé extrait d’amandes

1 oz d’essence de rhum ou brandy

2 oz Brandy (alcool)

¾ tasse mélasse

½ c. à thé de muscade

½ c. à thé gingembre

½ c. à thé clou de girofle

½ c. à thé cannelle

½ c. à thé tout épices

Bien mélanger ensemble.

Le lendemain :

½ tasse de beurre non salé

1 tasse sucre blanc

6 oeufs

Bien mélanger.

Ajouter 1 tasse d’eau bouillante avec 1½ c. à thé de soda à pâte

Ajouter au mélange 5 tasses farine

Bien mélanger.

Cuire au four 275°F jusqu’à ce que le gâteau commence à lever. Baisser la température du four à 250°F environ 2½ à 3 heures ou jusqu’à la fin de la cuisson. Pour un plat en vitre, réduire la cuisson à 250°F et 225°F.

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Les filles d’Albina : de g. à d. Blanche Pelchat, Laurette Bossé Piché, Alice Ethier, Noëlla Laurin. Remarquez les beignes sur la table ! Une collation sûrement bien méritée après des heures de travail pour nourrir la famille.

 

De Sacré-Cœur-de-Marie, Québec à Coppell, Ontario : quand une famille se sépare…

À partir des années 1880, des familles pionnières sont venues «bâtir un pays» dans le Nord ontarien. Le long de la route 11, il aura fallu attendre le tournant du siècle pour que les routes et le chemin de fer facilitent les allées et venues des familles à l’âme aventurière.

C’est toujours avec honneur et hommage que l’on se remémore le travail ardu et le courage de nos familles pionnières du Nord de l’Ontario, mais qu’en est-il des familles qui ont été déchirées par cette séparation ? Qu’en est-il de ceux et celles qui ont vu partir les êtres aimés avec un pincement au coeur et des inquiétudes plein la tête ? Les reverraient-ils ? Quand ? Seraient-ils heureux dans leur nouvelle vie dans ce «pays lointain» au milieu de la forêt ? À l’époque, les déplacements étaient difficiles et les ressources financières ne permettaient pas toujours les retours au bercail. Les familles ne savaient pas si, et quand, leurs routes allaient se croiser à nouveau…

Pour ces femmes et ces hommes qui sont venus coloniser le Nord de l’Ontario, l’ennui de leur famille laissée derrière en terre québécoise, acadienne, américaine ou européenne, fut souvent vécu comme une cicatrice au coeur. Et la famille qui voyait partir un des leurs souffrait aussi de cette déchirure.

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Fernande Groleau Gagné, 2016

Du haut de ses 10 ans, Fernande Groleau Gagné a vu partir deux membres de sa famille. Ils ont quitté leur village natal, Sacré-Cœur-de-Marie dans la région de Chaudières-Appalaches, pour se rendre à Coppell en Ontario. La défriche les attendait…

Hugo Tremblay, natif de Val Rita, a rencontré Mme Groleau Gagné pour parler avec elle de ses souvenirs du temps de la colonisation et du départ de son frère et de sa soeur. Voici le résultat de cette rencontre…

HP : Questions par Histoires Plurielles (projet LES ELLES DU NORD)

FGG : Réponses données par Fernande Groleau Gagné

HP : Madame Groleau Gagné, vous avez un frère et une sœur qui ont quitté leur Québec natal pour aller s’installer dans le Nord de l’Ontario, plus précisément à Coppell. Leur départ était en quelle année ?

FGG : Ma sœur Clarina Groleau et son mari Joseph Lehoux ont quitté Sacré-Cœur-de-Marie avec mon frère Léonce Groleau et son épouse Géraldine Huard et sa famille en 1934 pour se rendre à Coppell.

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Joseph Lehoux et Clarina Groleau

HP : Quelles étaient leurs circonstances personnelles à ce moment-là ?

FGG : Ma sœur venait à peine de se marier à Joseph. Mon frère avait 3 enfants. Ils ont quitté Sacré-Cœur-de-Marie pour se rendre à Coppell en camion avec leurs bagages à l’été 1934. Environ deux jours de voyage.

HP : Quels sont les facteurs qui ont influencé leur décision de partir de Sacré-Cœur-de-Marie à l’époque ?

FGG : Mon beau-frère Joseph Lehoux avait déjà un frère qui était établi dans le Nord. Il était certain de trouver de l’ouvrage. C’était la Dépression. Mon frère avait une terre à Sacré-Cœur-de-Marie. Le gouvernement donnait des octrois afin d’ouvrir une terre dans le Nord de l’Ontario. Mon beau-frère a eu un permis de colon lui aussi.

HP : Comment ont-ils vécu ce départ ?

FGG : Ma sœur suivait son mari sans avoir d’attente. Ils sont arrivés dans le bois ! C’était difficile de garder de l’argent dans ce temps-là — il y avait l’obligation de s’établir. Mon beau-frère allait à l’aventure et c’en était toute une !

HP : Vos parents, votre famille, comment ont-ils vécu la situation ? Quels sont vos souvenirs de leur départ ?

FGG : C’était la tristesse. Il y avait une déchirure familiale… 

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Famille Groleau (Fernande est assise sur la chaise à droite avec les pieds croisés). Clarina, la soeur de Fernande, est en haut à gauche (debout). Son frère Léonce, aussi en haut à gauche à côté de Clarina. Il porte la chemise et cravate blanches.

HP : Quels ont été les principaux défis que votre frère et sœur ont relevés dans le Nord au temps de la colonisation ? 

FGG : Il y avait tant de terrain à défricher pour arriver et être accepté par le gouvernement ! L’hiver, la femme restait à la maison et son mari était au chantier.

HP : Qu’est-ce qui vous a marqué le plus dans leur projet de s’établir dans le Nord de l’Ontario ?

FGG : La défriche, les premières maisons, les naissances, les décès…

HP : Lorsque vous êtes allée les visiter, quelles ont été vos impressions du voyage, de la route pour s’y rendre et du village de Coppell ?

FGG : C’était en 1962 pour des funérailles. Je me disais que je ne me rendrais jamais et que je ne reviendrais jamais. J’ai été malade, j’étais fatiguée, tristesse pour les funérailles, chemin de gravel, pas d’asphalte. C’était en plein bois ! J’y suis allée trois fois pour des funérailles et une fois pour des noces d’or. Les derniers voyages étaient plus beaux. Il y avait beaucoup d’amélioration sur les fermes, de beaux troupeaux, de belles maisons et de belles grandes familles. La ferme de mon frère était un succès et il avait réussi à la perfection. Par la suite, les familles sont allées s’établir à Hearst. J’ai souvenir de Coppell. Une petite église, une dizaine de maisons et il n’y avait pas de docteur. Il y avait une sage-femme qui s’occupait des accouchements. Ma sœur et mon frère sont revenus à Sacré-Coeur-de-Marie pour les noces d’or de mes parents en 1957. Nous étions tous réunis ! Mes parents étaient heureux de les voir arriver ! 

NOTE : Fernande est née le 23 décembre 1924. Elle a épousé Jean-Thomas Gagné. Ensemble, ils ont élevé leur famille de quatre enfants à Broughton Station, Québec. Fernande demeure maintenant à Thetford Mines et profite de ses moments pour prier et faire de l’artisanat. Nous la remercions pour sa générosité de coeur, le partage de ses photos et d’avoir accepté de livrer ses souvenirs au sujet du départ de son frère et de sa soeur qui se sont établis dans le Nord de l’Ontario.  Merci beaucoup Mme Groleau Gagné !

REMERCIEMENTS : Je tiens à remercier très chaleureusement Hugo Tremblay d’avoir mené cette entrevue pour le projet LES ELLES DU NORD. Le témoignage de Madame Fernande Groleau Gagné nous permet de mieux comprendre les traces, parfois amères, mais toujours lumineuses de toutes ces familles qui sont parties et de toutes ces familles qui ont laissé partir leurs êtres aimés… Merci aussi à Pierrette Gagné, la fille de Fernande, qui a eu la gentillesse de faciliter la rencontre entre sa mère et Hugo. Merci de tout coeur.

Lucette Lévêque se rappelle le dévouement de sa grand-mère Fernande

Au début des années 70, alors qu’elle était âgée de 12 ans, Lucette Levêque faisait partie du Club 4-H à Fauquier. L’animatrice avait alors demandé aux jeunes filles d’écrire l’histoire d’une personne célèbre. Qui choisir ? On lui fit la suggestion d’écrire l’histoire de sa grand-mère Fernande.

Qui était Fernande et pourquoi était-elle célèbre ? Eh bien, vous verrez qu’elle était une femme d’action, dévouée aux femmes et au développement de sa communauté d’origine et de sa communauté d’adoption. Femme d’engagement, Fernande fut active au sein des regroupements de femmes pendant six décennies.

Sa petite-fille Lucette a eu la gentillesse de s’inspirer du texte écrit de sa plume à l’âge de 12 ans et de ses souvenirs chaleureux pour nous présenter sa grand-mère «célèbre». Et aujourd’hui, comme hier, son cœur est gonflé de fierté quand elle nous parle de grand-maman Fernande… 

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Fernande Lévêque

Quand on m’a demandé de faire l’historique de ma grand mère Fernande, ça m’embêtait un peu, mais à bien y penser, c’est agréable en même temps — une grand-mère comme la mienne qui a été l’âme dirigeante des organisations sociales sur le plan diocésain et provincial pendant un si grand nombre d’années.

J’en aurais long à raconter à son sujet, mais ce que je tiens surtout à vous dire, c’est que ma grand-mère Fernande n’avait pas peur des sacrifices qui s’imposaient. Ce qui lui tenait à cœur plus que tout, c’était de voir les femmes et les filles d’une même paroisse, unies sous un même toit, vers un même but. Elle s’organisait toujours pour avoir une société unie.

Native du Lac St-Jean, ma grand-mère a commencé son oeuvre dans la province de Québec en 1945 en tant que dirigeante paroissiale. Par la suite, elle a suivi des cours de formation sociale dans le diocèse de Chicoutimi de l’Union Catholique des fermières, et de 1947 à 1951, elle fut dirigeante au niveau diocésain.

La famille déménagea dans le Nord de l’Ontario où ma grand-mère poursuivit son oeuvre. En 1952, elle fut la première présidente du Cercle des fermières de Fauquier et en 1954, elle fut responsable de la fondation de comité diocésain de Hearst à Cochrane où elle releva à nouveau le défi de présidente.

En 1958, ma grand-mère fut réélue à la présidence du Cercle de Fauquier. Quelques années plus tard, elle reprit aussi le flambeau de la présidence du diocèse. Au cours des années 60, elle a travaillé en étroite collaboration avec un agronome du gouvernement provincial (M. Demers) afin d’obtenir les services d’une économiste ménagère francophone pour le Nord. Son but a toujours été d’atteindre un plus grand nombre de jeunes filles par l’entremise des Clubs 4-H, qu’elle considérait comme étant un mouvement enrichissant pour les jeunes.

En 1969, sa santé défaillante et des obligations familiales la contraignent à se retirer des fonctions de présidence. Le 9 octobre 1969, le comité diocésain lui a organisé une fête surprise à Fauquier où tous les cercles étaient représentés. On honora ma grand-mère Fernande de compliments et on lui remit un trophée en guise de récompense pour son dévouement inlassable durant sa longue carrière au service de sa communauté.

Mais il n’était pas question pour ma grand-mère de cesser complètement ses activités. Oh non ! Elle n’était pas du genre à se reposer sur ses lauriers ! Son dévouement se poursuivit à titre de directrice générale au palier provincial, ce qui l’amena à se déplacer plusieurs fois par année pour participer aux assemblées du comité directeur à North Bay et à Ottawa.

À l’échelle locale, Fernande continua à encourager l’artisanat et faisait, elle-même, du tissage, du crochet, de la couture, de la broderie, de la peinture… Ma grand-mère, cette Grande Dame du Nord, a fait partie de tous les mouvements de la paroisse de Fauquier, dont les Femmes chrétiennes et l’Union Culturelle des Jeanne D’Arc. Elle fut aussi vice-présidente du comité de la liturgie de la paroisse de Fauquier pendant des décennies. Je n’oublierai jamais le travail et le dévouement de ma grand mère. Elle continue de m’inspirer chaque jour de ma vie. — L.L.

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NOTE HISTORIQUE SUR L’UNION CATHOLIQUE DES FERMIÈRES/L’UNION CULTURELLE DES FRANCO-ONTARIENNES préparée par Jeannine Ouellette

C’est dans la région de Kent et d’Essex qu’un regroupement de femmes, d’abord connu sous le nom de l’Union catholique des fermières de l’Ontario, s’est rassemblé pour la toute première fois en 1936.

Bien à leur insu, ces femmes venaient de donner naissance à ce qui allait devenir le plus important regroupement de femmes francophones dans toute l’histoire de l’Ontario ! À cette époque, des « cercles » comme ceux de Kent et d’Essex, se sont également formés dans l’Est ontarien à Casselman, Wendover, Embrun et Clarence Creek.

On a vu apparaître les premiers 8 cercles dans le Nord de l’Ontario, plus précisément dans le diocèse de Hearst, en 1956. Depuis ses débuts, l’UCF a élu de nombreuses présidentes dont 8 du Nord de l’Ontario. Fernande Lévêque fut la 2e femme du Nord élue à ce poste.

À la rencontre de Mariette Guillotte, Grande Dame de Kapuskasing

Mariette avec robe tisse ouverture de galerie

Mariette Guillotte

Le projet des Elles du Nord s’enrichit de l’histoire des femmes qui ont influencé le développement du Nord. Elles sont nombreuses à avoir aidé à bâtir une société résiliente, fière de ses racines, de ses valeurs et de ses traditions canadiennes-françaises.

Mariette Guillotte figure parmi ces Grandes Dames du Nord.

Mariette est née à Kapuskasing le 25 avril 1934. Ses parents avaient quitté leur région natale du Bas-du-fleuve au Québec pour s’établir à Kapuskasing, terre des forêts. À cette époque, les familles du Québec étaient encouragées à venir coloniser le Nord de l’Ontario.

Cet automne, Mariette a accepté de se prêter à une entrevue menée par Angèle Lauzon Albert, bibliothécaire à la Bibliothèque publique de Moonbeam. Par la suite, Angèle m’a fait parvenir l’enregistrement que j’ai eu le plaisir d’écouter  afin de rédiger quelques tableaux de la vie de Mariette Guillotte !

Je les remercie toutes les deux pour le temps qu’elles ont consacré à la transmission et cueillette d’information pour mon projet LES ELLES DU NORD/Histoires Plurielles. Merci Mariette. Merci Angèle. Vous avez enrichi notre histoire collective…

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Fille d’Arthur Dumais et de Marie Souci, conjointe de Jos Guillotte, mère de 8 enfants, grand-mère de 23 petits-enfants et arrière-grand-mère de 12 petits-enfants, Mariette est une chef de file bien connue et fort appréciée dans le Nord-Est de l’Ontario depuis plus de 60 ans. Voici son histoire….

Mariette est née dans une petite maison en bois rond située derrière l’usine de pâte et papier Spruce Falls Power & Paper Co. (devenue Tembec). La maison de son enfance, dans laquelle elle a habité jusqu’à l’âge de 10 ans, a une histoire particulière en ce sens qu’elle fut construite par des prisonniers allemands, internés à Kapuskasing pendant la Première Guerre mondiale. En 1944, la famille Dumais emménagea dans une plus grande maison pouvant accommoder leurs 11 enfants. Enfin l’eau courante et l’électricité !

Mariette raconte qu’à l’époque de l’arrivée de ses parents à Kapuskasing au début des années 30, des Américains protestants anglophones prévoyaient s’établir dans le Nord. Désirant contrer cette vague, les prêtres catholiques canadiens-français encourageaient les familles québécoises à prendre racine à Kapuskasing et les environs. Le gouvernement du Québec remettait la somme de 200$ aux familles qui acceptaient d’émigrer en sol ontarien. Des centaines de familles ont pris la route de l’aventure !

Aux dires de Mariette, sa mère Marie était certainement féministe avant même que le mot soit populaire dans le Nord de la province. Marie Souci a élevé des filles confiantes et habiles et des garçons qui respectaient l’intelligence des femmes. Pour Mariette, tout a toujours été possible – avoir une famille et une vie à l’extérieur du foyer, même dans les années 50 où les codes socio-culturels restreignaient la liberté et les rôles des femmes dans la société. Ses parents lui ont toujours enseigné qu’elle avait les mêmes droits que les hommes.

Après avoir terminé son école primaire à Kapuskasing, Mariette quitta sa famille pour aller étudier pendant quatre ans dans une école d’arts ménagers à Ville-Marie dans le Témiscamingue québécois.

mariette a 17 ans

Mariette à l’âge de 17 ans

Pendant un certain temps, Mariette a cru avoir la vocation et a même songé à un avenir religieux au sein de la Congrégation des Sœurs Grises de la Croix auprès desquelles elle étudiait.

Cependant, son désir d’être mère de famille était fortement éveillé en elle et au bout d’un an, elle mit fin à ses études de postulante. «J’ai un charisme dominant : l’amour», précise Mariette qui a vite compris qu’elle ne pourrait satisfaire aux attentes d’une vie religieuse.

Mais ce fut une vocation transformée et canalisée dans la famille et le bénévolat ! Pour Mariette, le bénévolat est en fait « Dieu va là ». «Le bénévolat, c’est la charité, c’est l’amour, c’est le don de soi et de son temps. C’est l’amour en action.», confirme Mariette. Une mère de famille passe au feu ? Mariette partage ce qu’elle a avec cette femme. Une classe a besoin d’un gâteau pour une célébration à l’école? Mariette confectionne un succulent dessert. Quelqu’un a besoin d’un repas chaud ? Mariette cuisine ! Elle fait d’ailleurs partie de l’équipe de la Popote roulante à Kapuskasing depuis tellement d’années qu’elle a cessé de les compter ! De toute façon, compter n’est pas dans sa nature. «On a reçu beaucoup mon mari et moi. On a mis au monde des enfants merveilleux. En retour, on donne. Il faut qu’on donne. On a été aimés dans la vie et quand tu as de l’amour, il ne te manque plus grand chose. »

marriage 18 sept 1954

Mariette Dumais et Jos Guillotte, le jour de leur mariage, 18 septembre 1954

Souvent appelée à parler à des groupes de femmes ou de jeunes, Mariette aime leur rappeler combien chaque être humain est unique et merveilleux. De sa mère, Mariette dit avoir reçu la dignité, et de son père, l’éloquence, ce qui lui confère une aptitude toute particulière pour la communication. Elle a prononcé d’innombrables conférences tant en français qu’en anglais portant sur trois thèmes prioritaires pour elle : l’estime de soi, la communication interpersonnelle et l’art du rire.

Pour Mariette, la qualité de la vie passe par la qualité des relations, qui, elles, passent par la qualité de la communication. Mariette se dit elle-même «faite de chaleur humaine», élevée à l’époque de la crise où les gens étaient tissés serrés sur les terres et s’entraidaient pour survivre.

Étant elle-même tisserande de métier, l’expression «être tissée serrée avec les gens de sa communauté» pourrait certainement être la devise de sa vie ! Membre des Filles d’Isabelle depuis 55 ans, dont 2 ans à titre de régente, membre de l’UCF♀(l’Union culturelle des Franco-Ontariennes) de Moonbeam, organisatrice de bazars et d’activités communautaires et fière ambassadrice de multiples causes qui lui tiennent à cœur depuis plus de 60 ans : le scoutisme, l’implication dans les comités scolaires, les activités paroissiales, l’entraide aux familles endeuillées, les cueillettes de fonds et d’objets pour les familles démunies… Le bénévolat est un mode de vie pour Mariette. Son modus operandi.

À une époque où les femmes du Nord ne participaient pas encore en très grand nombre au marché du travail (et encore moins si elles étaient mères de famille), Mariette ouvrait grandes les portes. Elle eut un service de traiteur pendant de nombreuses années et cuisina, entre autres, pour les banquets de la Spruce Falls Power & Paper Co.

Elle a aussi marqué la vie de bien des jeunes pendant sa carrière de 23 ans à titre de commis à la bibliothèque de l’école secondaire Cité des Jeunes à Kapuskasing. Elle les encourageait à la lecture, à la satisfaction d’un travail de recherche bien fait et à la motivation d’apprendre. Un élève avait besoin d’un livre qui n’était pas sur les tablettes? Qu’à cela ne tienne ! Mariette empruntait le livre à la Bibliothèque municipale afin que le travail scolaire de l’élève ne souffre pas. Elle n’a jamais hésité à faire le petit geste de plus qui pouvait rendre la vie humaine plus agréable…

Pour cette amoureuse de la vie, tous les apprentissages sont permis, même les études universitaires qu’elle a entreprises à l’Université de Hearst à l’aube de ses 80 ans.  D’ailleurs, son plus grand conseil pour les jeunes d’aujourd’hui : «Qu’ils utilisent leur matière grise. Qu’ils aillent à l’école le plus longtemps possible. Qu’ils ne perdent jamais la chance de suivre un cours et d’approfondir leur savoir.»

Le tissage, la couture, l’art de la courtepointe, et plus récemment, la poterie, ont été au cœur de ses activités artistiques. Elle a suivi de nombreux cours d’artisanat, en a enseigné aussi plusieurs, en plus d’organiser des conférences et de participer à des expositions, seule ou en compagnie d’autres artisanes.

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Qu’elle fasse une «batch de bines» ou qu’elle tisse une couverture, qu’elle parle d’estime de soi ou de l’importance du rire au quotidien, Mariette Guillotte y met toute son âme. Chaque personne compte.

Le Nord tatoué sur le coeur, Mariette termine son entrevue en disant : «On est tellement bien dans le Nord de l’Ontario. Les gens ont peut-être été un peu durs dans le temps des pionniers, sévères même, mais c’est parce que la vie était dure dans ce temps-là. Nos ancêtres ont fait de nous des gens tenaces. On a des têtes de pioche et du cœur au ventre. On n’est pas des lâcheux ici!»

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Crédit photo : John Booth

La personnalité invitante et chaleureuse de Mariette Guillotte est à l’image de ses ancêtres colonisateurs — dynamique, aventurière, positive et dotée de multiples talents. Merci Mariette d’être une étoile du Nord !

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Mariette Guillotte offrant une de ses oeuvres artisanales  à l’honorable Madeleine Meilleur, ministre des Affaires francophones et Procureure générale de l’Ontario