Lise Goulet présente sa grand-mère Blanche Gauthier Bérini

Sur les pas de Blanche… de Buckingham à Cobalt à Timmins 

Au tournant du 20e siècle (fin des années 1890), lorsque Blanche Gauthier a commencé sa carrière d’enseignante dans les écoles de rang du Québec, elle devait être loin de se douter que son chemin d’avenir se tracerait sur les routes du Nord de l’Ontario, et encore moins, qu’elle mettrait au monde une famille d’entrepreneurs et d’artistes incluant le célèbre peintre Clément Bérini — un modèle pour les aspirants artistes du Nord, surtout à partir des années 1970 alors que les arts, en milieu francophone, prenaient leur envol en Ontario. Lise Goulet se rappelle l’influence de sa grand-mère Blanche, mais aussi, de sa mère Marcelle, fille de Blanche…

Née à Buckingham au Québec, ma grand-mère, Blanche Gauthier, a fait ses études auprès des Sœurs grises à Hull. Après avoir complété son école normale, elle a commencé sa carrière d’enseignante dans une école de rang à Buckingham.

Au début des années 1910, elle a accepté un poste d’enseignante à l’école catholique séparée St-Hilarion à Cobalt dans le Nord de l’Ontario. Ma grand-mère Blanche a donc enseigné durant l’infâmie du Règlement 17 qui enlevait à tout élève le droit d’être instruit en français en Ontario !

St Hilarion

L’école séparée catholique St-Hilarion a été frappée par la foudre en 1925 (ou 1926). Réduite en cendres, elle a été reconstruite sur la rue Lang en 1927, et démolie dans les années 50. Archives de la bibliothèque de Cobalt.

Blanche Gauthier Bérini

Blanche Gauthier avec ses élèves à l’école St-Hilarion à Cobalt entre 1912 et 1915.

Quelques années plus tard, invitée par le curé Thériault de Timmins à venir joindre le personnel enseignant à Timmins, ma grand-mère a ouvert un nouveau chapitre de sa vie lorsqu’elle y a rencontré mon grand-père, l’homme d’affaires Joseph Bérini. C’est avec Joseph que Blanche a fondé une vie et une famille de 6 enfants à Timmins, dont ma mère Marcelle.

La famille de mon grand-père Joseph Bérini était originaire de Taino, une ville près de Vérone dans le Nord de l’Italie. Lorsque sa famille a émigré au Canada en 1888, elle s’est installée à Fort William (Thunder Bay). Mon grand-père, homme d’affaires inspiré, a été prospecteur, copropriétaire d’une mine d’or (Vimy Gold Mine dans le district de Cochrane) et propriétaire garagiste à Timmins.

Tous les enfants Bérini ont poursuivi des études secondaires dans les écoles privées francophones en Ontario ou au Québec et plusieurs d’entre eux ont suivi dans les traces de mes grand-parents. Deux de mes oncles Bérini ont été entrepreneurs comme leur père — oncle Jean-Paul, qui a été propriétaire de garage à Timmins et oncle Moïse, qui a été le propriétaire-fondateur de Typo-Press, une imprimerie réputée du Nord de l’Ontario. Moïse a également été membre du groupe fondateur du Centre culturel La Ronde de Timmins.

Deux autres fils laisseront leur marque dans le domaine artistique, Jean-Charles, artiste et photographe spécialisé en photographie aérienne et en dessin, ainsi que Clément, artiste peintre de renommée et mentor pour des générations d’artistes dans le Nord de l’Ontario.

Marcelle Goulet

Marcelle Bérini-Goulet au Gala du Théâtre français de Toronto le 8 mai 2014

Ma mère Marcelle, la troisième de la famille, a suivi dans les pas de ma grand-mère en étudiant à la même école que sa mère.

Bien que le Règlement 17 s’est quelque peu assoupli, l’école au palier élémentaire est subventionnée par le denier public depuis 1928, il est toujours en vigueur au palier secondaire. Ma mère va donc obtenir son diplôme d’enseignante chez les Sœurs grises de Hull.

Après ses études à Hull, ma mère est retournée à Timmins où elle a épousé mon père Armand Goulet. Mes parents sont déménagés à Ottawa en 1959 et mon père est décédé l’année suivante d’un terrible accident en milieu de travail; il était à vérifier la solidité de la structure dans une mine à Chibougamau lorsque celle-ci s’effondra.

Au début des années 1960, ma mère, une jeune veuve d’à peine 35 ans, a dû trouver un emploi pour gagner sa vie et subvenir aux besoins de ses enfants — mon frère Pierre a 7 ans, moi 2 ans, tandis que mon cousin Raymond Robillard, adopté par mes parents avant le déménagement à Ottawa, a presque 10 ans. Ma mère fait de la suppléance dans les écoles de langue française puis est devenue enseignante du français langue seconde auprès des fonctionnaires haut placés du gouvernement fédéral. À la fin des années 1960, elle s’est spécialisée dans l’enseignement de la maternelle et a fait carrière dans les écoles élémentaires d’Aylmer jusqu’en 1983, date à laquelle elle a pris sa retraite. 

Moi, petite-fille de Blanche et fille de Marcelle, je marche dans le sillage professionnel des femmes de ma famille. En effet, à l’insu de ma grand-mère qui n’a jamais soupçonné que je deviendrais enseignante (elle est décédée en 1968 alors que j’étais encore enfant) et encore moins, militante pour la cause francophone en Ontario, j’ai dû en quelque part, être très frappée par sa force de caractère.

De Buckingham à Cobalt à Timmins, Blanche a tracé une route de pionnière. Outre sa générosité à l’égard du clergé et des oeuvres caritatives, elle menait grand train dans la Ville de Timmins tout en gérant la maisonnée et la maison d’une main ferme. Elle tenait les cordons de la bourse et fit la tenue de livres du dernier commerce de mon grand-père, le Timmins’ Garage. Elle n’avait pas froid aux yeux et fut même la première femme à porter le pantalon à Timmins, et la première femme à conduire une voiture dans cette ville ! Tout un exploit pour une femme de son époque et dans cette communauté !

À ma mère, dont l’esprit pragmatique m’a fait jumeler art et éducation, je dois aussi le courage de foncer devant l’adversité, ainsi que l’amour de l’aventure et du voyage. J’ai appris à enseigner à ses côtés; elle était extrêmement douée pour l’enseignement et très à l’avance de son temps. Elle appliquait intuitivement des stratégies d’enseignement qui, aujourd’hui, sont à la fine pointe en matière de pédagogie !

Et je dois aussi beaucoup à mon oncle Clément dont j’ai toujours admiré le talent et sa façon bien particulière d’aborder l’art en un mélange de créativité, d’humour et de travail. De lui, j’ai appris à m’engager, non seulement face à l’expression personnelle dans ma pratique artistique, mais aussi dans les causes qui me tiennent à cœur.

Grâce à leur influence, je suis devenue enseignante d’arts visuels au palier secondaire. Lorsqu’en 1997-98, la loi scolaire a accordé aux francophones la pleine gestion de leurs écoles, j’ai été embauchée pour gérer la création du premier programme-cadre d’éducation artistique entièrement rédigé par des francophones pour des francophones : le Règlement 17 était finalement chose du passé. Depuis 2004, je suis agente d’éducation au ministère de l’Éducation à Toronto, et je poursuis toujours mon travail en tant qu’artiste. L’héritage Gauthier-Bérini — la francophonie, l’éducation et les arts, continuent de vivre en moi ! Blanche, Marcelle, Clément et bien d’autres encore ont formé qui je suis devenue. Je chéris leur mémoire et j’espère toujours être à la hauteur de leurs espérances.

15 réflexions sur “Lise Goulet présente sa grand-mère Blanche Gauthier Bérini

  1. Merci de partager cette histoire originale avec nous, Madame Goulet. Vous êtes d’une famille courageuse. Votre grand-mère, votre mère, de vraies fonceuses ! Plusieurs leçons de vie dans votre récit. Le personnage de mon roman « Brûlants secrets de Marianne » a peut-être croisé Blanche… sait-on jamais? Passionnant!

  2. Merci Lysette. Moi aussi, j’ai été inspirée par Blanche et Marcelle…et Lise aussi. Trois générations de femmes qui ont avancé dans la vie avec force et conviction !

  3. Chère Lise, chère Marcelle,
    J’étais très heureuse de vous rencontrer à Mississauga hier, le dimanche 8 juin 2014. Continuez votre belle mission : l’art est essentiel à l’âme en quête de beauté.
    Au plaisir de vous revoir un jour…
    Entretemps, nous pouvons nous retrouver sur les Elles du Nord.

  4. J’aime comment l’histoire de Blanche est menée par Lise Goulet. C’est bien fait et tout à fait relié à l’évolution des milieux dans lesquels ces femmes ont vécu et la contribution qu’elles y ont apporté. J’aime tout particulièrement entendre que Blanche était la première femme à Timmins à porter le pantalon et à conduire la voiture. Ça me fait sourire de penser à son plaisir et à sa fierté et aux commentaires qu’elle a suscité dans son entourage. Bravo Lise et merci.

  5. Irène Leroy-Syed
    A travers ces queques lignes, je te découvre un peu plus, ma chère Lise ainsi que ta mère bien aimée.
    De fortes femmes, de celles qui ont forgé cet Ontario français, dont nous sommes tous très fiers. Nous continuerons cette tâche. L’art comporte de multiples langages, alors que notre Ontario acquierera son identité grâce au français.

  6. Merci pour ce beau témoignage ! Madame Gauthier Bérini a légué un bel héritage à sa famille mais aussi à la collectivité franco-ontarienne par son audacité, sa détermination et son attitude de fonceuse. Nous lui sommes reconnaissantes !

  7. Merci Michelle ! On gagne beaucoup à découvrir le vécu de ces femmes de différentes générations en Ontario français. Elles ont tracé le chemin sur lequel on voyage aujourd’hui. On leur doit respect et reconnaissance.

  8. Merci de partager l’héritage de vos ancêtres. Grâce à eux, nous apprenons le sens des mots « courage, fierté, audace »…..et ainsi de suite

  9. Merci pour ton beau témoignage Francine. Nos pionnières et nos pionniers étaient des gens d’exception, dotés d’un dévouement sans bornes. Ils nous ont transmis la persévérance et l’optimisme… comme ta grand-mère !

  10. À vous toutes! MERCI de poursuivre ce dialogue sur les Elles du Nord.
    Ma grand-mère Blanche était une femme d’action et comme je l’ai dit, elle n’avait pas froid aux yeux. En rétrospective je me rends compte que ma propre mère, Marcelle, tenait beaucoup de sa mère : femme de cran, femme de tête, femme de son temps.
    Marcelle est morte le 3 septembre 2016, paisiblement à l’hôpital du Mont Sinaï à Toronto. Son passage fut remarqué, ses nombreux amis, jeunes et moins jeunes ont pleuré sa perte.
    Généreuse, optimiste, aimant la vie et munie d’un bon sens de l’humour, Marcelle continue de m’inspirer à tous les jours.
    Fille d’une pionnière et d’un pionnier, Marcelle a marqué le chemin : Franco-ontarienne, Femme de coeur, Grande amie des arts, Mère exceptionnelle.
    Je t’aime.
    Lise B. L. Goulet

  11. Bonjour Lise. Merci pour le partage de ton témoignage si touchant. Nous marchons dans les pas de nos mères et de nos grands-mères courageuses et déterminées.

  12. Bonjour, Je suis l’arrière petit fils de Marguerite [Soeur de votre grand’ mère] épouse de Gilbert Brassard… aimerait bien pouvoir échanger avec vous des renseignements d’ordre généalogique. Mon A.G.M.paternelle est la seule de mes 8 a.g.parents dont je n’ai pas malheureusement pas la photo. Magnifique votre texte, tout simplement délectable … yvan brassard yvanbr@videotron.ca

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